Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/335

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bonheur de vous voir quitter les vôtres pour les miennes ; mais vous êtes attaché à la dotta e grassa Bologna, et moi, je ne peux, à l’âge de soixante et dix ans, passer le mont Cenis pendant l’hiver. Je suis dans mon lit depuis les premiers froids. Ma consolation est de lire notre cher Goldoni, et de m’amuser à des ouvrages qui ne valent pas les siens. Je suis obligé de dicter toujours ; je ne peux écrire. Voilà pourquoi j’ai tardé si longtemps à vous dire, monsieur, combien je suis sensible à vos offres obligeantes, et quel est mon regret de ne pouvoir les accepter.

Je compte dans quelque temps vous faire un petit envoi ; mais ce ne sera, je crois, que dans le mois de mars. J’ai été si malade, si faible, si paresseux, que je n’ai pu écrire depuis longtemps à M. Goldoni. D’ailleurs, que lui mander du fond de ma retraite ? Il m’a écrit qu’il serait longtemps à Paris ; je ne doute pas que ses ouvrages ne lui fassent des admirateurs, et son caractère, des amis. La paix, le concours des étrangers, le nombre de ceux qui seront touchés de son mérite, lui pourront être utiles ; c’est ce que je souhaite passionnément.

Pour vous, monsieur, je ne vous souhaite que la continuation de votre félicité ; vous avez tout le reste.

On ne peut être plus pénétré que je le suis de tout ce que vous valez et de l’amitié dont vous m’honorez. Comptez, je vous en conjure, sur mon très-tendre attachement pour le temps qui me reste à vivre.


5127. — À M. MOULTOU[1].
Ferney, 8 janvier 1763.

J’ai lu avec attention, monsieur, une grande partie de l’Accord parfait. C’est un livre où je dirais qu’il y a de fort bonnes choses, si je ne m’étais pas rencontré avec lui dans quelques endroits où il parle de la tolérance. Il y a, ce me semble, un grand défaut dans ce livre, et qui peut nuire à votre cause, c’est qu’il dit continuellement que les catholiques ont toujours eu tort et les protestants toujours raison ; que tous les chefs des catholiques étaient des monstres, et les chefs des protestants des saints ; il va même jusqu’à mettre Spifame, évêque de Nevers, au rang de vos apôtres irréprochables[2]. C’est trop donner d’armes contre soi-même.

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. Spifame, évêque de Nevers et plus tard ministre du saint Évangile à Genève