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5176. — À MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
Au château de Ferney, par Genève, 4 février.

Madame, j’aime mieux avoir l’honneur d’écrire à Votre Altesse sérénissime d’une main étrangère que de ne vous point écrire du tout. Je deviens presque aveugle, et il ne faut pas l’être quand on veut faire sa cour à Carlsruhe. J’apprends avec bien de la douleur que Votre Altesse sérénissime a été malade tout comme une autre ; la beauté et le mérite ne guérissent de rien ; les médecins ne guérissent pas davantage ; il n’y a que le régime qui rétablisse la santé.

Je ne suis point en état, madame, de venir me mettre à vos pieds : que feriez-vous d’un vieil aveugle ? Mais si quelqu’un de mes enfants peut trouver grâce devant vos yeux, ils viendront demander votre protection.

Je marie dans quelques jours la nièce de Pierre Corneille à un jeune gentilhomme de mon voisinage ; la consolation de la vieillesse est de rendre la jeunesse heureuse. S’il faisait plus beau, et si j’étais moins décrépit, je mènerais la noce danser devant votre château, comme faisaient les anciens troubadours ; nous y chanterions les plaisirs de la paix, dont l’Allemagne avait besoin comme nous.

J’espère dans quelques semaines envoyer à vos pieds le second tome de la Vie de Pierre le Grand, ne pouvant le porter moi-même. Votre Altesse sérénissime y verra des choses assez curieuses ; mais ma plume ne vaut pas vos crayons, et mes peintures ne valent pas vos pastels.

La czarine régnante a grande envie d’imiter la reine Christine, non pas en abdiquant, mais en cultivant les arts et les sciences ; on la dit fort belle et fort aimable ; voilà quatre impératrices tout de suite : cela tourne un peu la loi salique en ridicule. Pour moi, madame, depuis que j’ai eu l’honneur de vous faire ma cour, j’ai toujours souhaité que les femmes gouvernassent.

Agréez le profond respect avec lequel je serai toute ma vie, madame, de Votre Altesse sérénissime, etc.


5177. — À M. D’ALEMBERT.
4 février.

Mon cher et illustre confrère, il semble que si quelques pédants ont attaqué en France la philosophie, ils ne s’en sont pas