Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/381

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bien trouvés, et qu’elle a fait une alliance avec les puissances du Nord. Cette belle lettre de l’impératrice de Russie[1] vous venge bien ; elle ressemble à la lettre que Philippe écrivit à Aristote le jour de la naissance d’Alexandre.

Je me souviens que, dans mon enfance, je n’aurais pas imaginé qu’on écrirait un jour de pareilles lettres de Moscou à un académicien de Paris. Je suis du temps de la création, et voilà quatre femmes de suite[2] qui ont perfectionné en Russie ce qu’un grand homme y avait commencé. Votre galanterie française doit quelques compliments au sexe féminin sur cette singularité dont l’histoire ne fournit aucun exemple. La belle lettre que celle de Catherine ! Ni sainte Catherine de Sienne, ni sainte Catherine de Bologne, ni sainte Catherine d’Alexandrie, n’en auraient jamais écrit de pareilles. Si les princesses se mettent ainsi à cultiver leur esprit, la loi salique n’aura pas beau jeu. Ne remarquez-vous pas que les grands exemples et les grandes leçons nous viennent du Nord ? Les Newton, les Locke, les Gustave, les Pierre le Grand, et gens de cette espèce, ne furent point élevés à Rome dans le collège de la Propagande.

J’ai parcouru, ces jours derniers, une grosse apologie des jésuites pleine d’ithos et de pathos[3]. On y fait le dénombrement des grands génies qui illustrent notre siècle ; ils sont tous jésuites. C’est, dit l’auteur, un Perusseau, un Neuville, un Griffet, un Chapelain, un Baudori, un Buffier, un Desbillons, un Castel, un La Borde, un Briet, un Pezenas, un Garnier, un Simonet, un Huth, et enfin ce Berthier, ajoute-t-on, qui a été si longtemps l’oracle des gens de lettres[4].

Je suis assez comme M.  Chicaneau[5], je ne connais pas un de ces gens-là, excepté frère Berthier, que je croyais mort sur le chemin de Versailles[6] ; mais enfin je suis ravi que la France ait encore tant de grands hommes.

On dit aussi que l’on compte parmi ces sublimes génies un M.  Le Roi, prédicateur de Saint-Eustache, qui prêche contre les philosophes avec l’éloquence du révérend père Garasse[7].

  1. En date du 13 novembre 1762.
  2. Catherine Ire, Anne, Elisabeth. Catherine II.
  3. Expression des Femmes savantes, acte III, scène v.
  4. Voyez Apologie générale de l’institut et de la doctrine des jésuites (par Cerutti), seconde édition, 1763, in-8o, chapitre xx, pages 304, 305, 306, 310.
  5. Les Plaideurs, acte II, scène v.
  6. Voyez, tome XXIV, page 95, la Relation de la maladie, etc., du jésuite Berthier.
  7. Voyez ce que Voltaire dit de Garasse, tome XXVI, page 496.