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4825. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
1er février.

Quels diables d’anges ! Je reçois le paquet avec ma romancine. Vraiment comme on me lave la tête ! La poste va partir : je dicte à la fois ma réponse et j’écris ma justification dans mon lit, où je suis assez malade.

Mes divins anges, vous ne savez ce que vous dites. Faites-vous représenter la lettre à Duchesne[1] et vous verrez que je n’ai pas tort, et le cœur vous saignera de m’avoir grondé.

Plus j’y pense, plus je crois ne lui avoir point donné positivement permission d’imprimer Zulime ; ou ma vieillesse et mes travaux m’ont fait perdre la mémoire, ou il y a dans la lettre ces propres mots :

« M.  de V. vous donnera volontiers la permission que vous demandez ; mais il croit qu’il faudrait y ajouter quelques morceaux de littérature, etc. »

La lettre, ce me semble, n’était qu’un compliment, une recommandation auprès de ceux qui sont les dépositaires de l’ouvrage. Je ne doute pas que vous ne vous soyez fait représenter la lettre, et que vous n’ayez jugé selon votre grande prudence et équité ordinaire. Au reste, c’est un bien mince présent pour Lekain et Mlle  Clairon ; et, en effet, la pièce ne se vendra guère sans quelques morceaux de littérature intéressants qui piquent un peu la curiosité. Comment d’ailleurs la donner au public ? sera-ce avec les coupures qu’on y a faites ? ces coupures font toujours du dialogue un propos interrompu. Ces nuances délicates échappent aux spectateurs, et sont remarquées avec dégoût par les yeux sévères du lecteur ; d’où il arrive que le pauvre auteur est justement vilipendé par les Fréron, sans que personne prenne le parti du pauvre diable.

Le métier est rude, mes anges ; je mets à vos pieds Cassandre. Voilà comme nous jouerons la pièce sur notre théâtre de Ferney, et le grand prêtre aura plus d’onction que Brizard.

Ce qui me fâche, c’est que voilà la czarine morte. J’y perds un peu ; mais je me console : les têtes couronnées et les libraires m’ont toujours joué quelques tours. Nous verrons quelle sera la face du Nord, cela m’intéresse beaucoup ; d’ailleurs, en qualité de faiseur de tragédies, j’aime beaucoup les péripéties.

  1. Cette lettre à Duchesne manque ; voyez n° 4798 et 4830.