Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/427

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Alexis était fils de Pierre Corneille, gentilhomme ordinaire du roi ; lequel Pierre était fils de Pierre, auteur de Cinna et de Pertharite.

Claude-Étienne, dont il s’agit ici, est né avec soixante livres de rente malvenant. Il a été soldat, déserteur, manœuvre, et d’ailleurs fort honnête homme. En passant par Grenoble, il a représenté son nom et ses besoins à M. de M***[1] que vous connaissez. Ce président, qui est le plus généreux de tous les hommes, ne lui a pas donné un sou, mais lui a conseillé de poursuivre son voyage à pied, et de venir chez moi, l’assurant que ce conseil valait beaucoup mieux que de l’argent, et que sa fortune était faite.

Claude-Étienne lui a représenté qu’il n’avait que quatre livres dix sous pour venir de Grenoble aux Délices. Le président a fait son décompte, et lui a prouvé qu’en vivant sobrement il en aurait encore de reste à son arrivée.

Le pauvre diable enfin arrive mourant de faim, et ressemblant au Lazare ou à moi. Il entre dans la maison, et demande d’abord à boire et à manger, ce qu’on ne trouve point chez le président de M***. Quand il est un peu refait, il dit son nom, et demande à embrasser sa cousine. Il montre les papiers qu’il a en poche ; ils sont en très-bonne forme. Nous n’avons pas jugé à propos de le présenter à sa cousine ni à son cousin M.  Dupuits, et je crois que nous nous en déferons avec quelque argent comptant. Il descend pourtant de Pierre Corneille en droite ligne, et Mlle  Corneille, à la rigueur, n’est rien à Pierre Corneille. Nous aurions pu marier Marie à Claude-Étienne sans être obligés de demander une dispense au pape.

Mais comme M. Dupuits est en possession, et qu’il s’appelle Claude, l’autre Claude videra la maison. Voilà, je crois, ce que que nous avons de meilleur à faire.

On nous menace d’une douzaine d’autres petits Cornillons, cousins germains de Pertharite, qui viendront l’un après l’autre demander la becquée. Mais Marie Corneille est comme Marie, sœur de Marthe ; elle a pris la meilleure part[2].

Le bon de l’histoire, c’est que c’est un nommé Dumolard, pauvre diable de son métier, qui est le premier auteur de la fortune de Marie. Tout cela, combiné ensemble, me fait croire plus que jamais à la destinée.

  1. François-Jean-Baptiste de Barrai de Montferra.
  2. Saint Luc, x, 42.