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appel à la nation britannique à l’occasion de deux shillings ? Certes cette aventure est importante. Quoi qu’il en soit, on ne m’a pas envoyé une seule feuille de la Gazette littéraire, et j’ai toujours peur de déplaire en servant.

Permettez que je vous adresse cette lettre à cachet volant pour frère Damilaville. Je ne vous parle point du contenu, pour ne pas faire un double emploi.

Il me vient bien des idées : je crois que j’ai un bien beau sujet[1] ; mais je suis si vieux, si vieux ! Il faudra que vous m’échauffiez.

Respect et tendresse.


5326. — À M. DAMILAVILLE.
23 juin.

Mon cher frère, vous m’annoncez par votre lettre du 18 que Robin-Mouton débite, contre la foi des traités, le tome de l’Histoire générale avec les feuilles qui ne doivent pas y être. J’en ai parlé à Gabriel Cramer, qui jure Dieu et Servet qu’il n’a envoyé aucun exemplaire à Robin-Mouton. Si ce Robin-Mouton a acheté de Merlin, par quelque colporteur aposté, les exemplaires impurs, et s’il les vend, il faut l’écorcher, ou du moins il faut lui faire peur. Mais que puis-je faire ? Je crois qu’il ne me convient que de me taire, et m’en rapporter à M. d’Argental. Au reste, tout ce que j’ai souhaité, c’est que mon nom ne parût pas : car, en vérité, il m’importe assez peu que le livre soit condamné ou non. On a tant brûlé de livres bons ou mauvais, tant de mandements d’évêques, tant d’ouvrages dévots ou impies, que cela ne fait plus la moindre sensation. Les livres deviennent ce qu’ils peuvent. Je n’ai travaillé à cette nouvelle édition que pour faire plaisir aux frères Cramer ; je n’y ai pas le plus léger intérêt, mais pour la personne de l’auteur, c’est autre chose. Je ne voudrais pas être obligé de désavouer mon ouvrage, comme Helvétius[2]. On ne peut jamais procéder que contre le livre, et contre l’auteur, quel qu’il soit. On désignera, si on veut, un quidam. On ordonnera des recherches. On n’en fera pas à Ferney, ni aux Délices. Pourquoi d’ailleurs en faire ? parce qu’on a réimprimé dans une

  1. Le Triumvirat.
  2. Helvétius avait été obligé, pour sa tranquillité, de donner, en 1759, jusqu’à trois rétractations ou désaveux de son livre de l’Esprit. On ménagea l’auteur, tout en condamnant le livre ; mais on punit le censeur ; voyez tome XXXIX, paire 490.