Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/560

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teux, sourd, et aveugle, pourvu que je vive, tout va bien[1] ? Pour moi, je ne suis pas tout à fait de son opinion, et j’estime qu’il vaut mieux n’être pas que d’être si horriblement mal. Mais, quand on n’a que deux yeux et une oreille de moins, on peut encore soutenir son existence tout doucement.

J’ai eu une grande dispute avec M. le président Hénault, au sujet de François II[2] ; et je vous en fais juge. Je voudrais que, quand il se portera bien et qu’il n’aura rien à faire, il remaniât un peu cet ouvrage, qu’il pressât le dialogue, qu’il y jetât plus de terreur et de pitié, et même qu’il se donnât le plaisir de le faire en vers blancs, c’est-à-dire en vers non rimés. Je suis persuadé que cette pièce vaudrait mieux que toutes les pièces historiques de Shakespeare, et qu’on pourrait traiter les principaux événements de notre histoire dans ce goût.

Mais il faudrait pour cela un peu de cette liberté anglaise qui nous manque. Les Français n’ont encore jamais osé dire la vérité tout entière. Nous sommes de jolis oiseaux à qui on a rogné les ailes. Nous volerons, mais nous ne volons pas.

Je vous supplie, madame, de lui dire combien je lui suis attaché.

Adieu, madame ; je ne sais si nous avons jamais bien joui de la vie, mais tâchons de la supporter. Je m’amuse à entendre sauter, courir, déraisonner Mlle  Corneille, son petit mari, sa petite sœur, dans son petit château, pendant que je dicte des commentaires sur Agésilas et Attila. Et vous, madame, à quoi vous amusez-vous ? Je vous présente mon très-tendre respect.


5381. — À M.  DAMILAVILLE.
21 auguste.

Il est bon que mes frères sachent qu’hier six cents personnes vinrent, pour la troisième fois, protester en faveur de Jean-Jacques contre le conseil de Genève, qui a osé condamner le Vicaire savoyard. Ils disent qu’il est permis à tout citoyen d’écrire ce qu’il veut sur la religion ; qu’on ne peut le condamner sans l’entendre ; qu’il faut respecter les droits des hommes : et on pré-

  1. Sept vers de Mécène à ce sujet ont été conservés par Sénèque (épître ci) et imités par La Fontaine, livre I, fable xv.
  2. François II, roi de France, tragédie en cinq actes et en prose (par le président Hénault), 1747, in-8o. L’auteur en donna, en 1768, une seconde édition, enrichie de notes nouvelles.