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empereur de Russie. Je l’attends à Ferney dans le mois prochain. Il ira de là à Turin et à Venise, et il y soupera probablement avec les six autres rois qui mangeaient à table d’hôte avec Candide et son valet Cacambo[1].

Votre Excellence n’aura que l’hiver prochain Pierre Corneille et ses Commentaires. J’ai fait ma tâche plus vite que les libraires ne font la leur. Vous trouverez que mon Commentaire n’est pas comme celui de dom Calmet, qui loue tout sans distinction. Il est vrai que Corneille est pour moi un auteur sacré ; mais je ressemble au père Simon[2], à qui l’archevêque de Paris demandait à quoi il s’occupait pour mériter d’être fait prêtre : « Monseigneur, répondit-il, je critique la Bible. »

Conservez-moi vos bontés, je vous en prie. Permettez-moi de me mettre aux pieds de celle qui fait le bonheur de votre vie, et qui l’augmentera dans un mois.


L’aveugle V.

5388. — À M. HELVÉTIUS.
25 auguste.

Pax Christi. Je vois, avec une sainte joie, combien votre cœur est touché des vérités sublimes de notre sainte religion, et que vous voulez consacrer vos travaux et vos grands talents à réparer le scandale que vous avez pu donner, en mettant dans votre fameux livre quelques vérités d’un autre ordre, qui ont paru dangereuses aux personnes d’une conscience délicate et timorée, comme MM. Omer Joly de Fleury, Gauchat, Chaumeix, et plusieurs de nos pères.

Les petites tribulations que nos pères éprouvent aujourd’hui les affermissent dans leur foi ; et plus nous sommes dispersés, et plus nous faisons de bien aux âmes. Je suis à portée de voir ces progrès, étant aumônier de monsieur le résident de France à Genève. Je ne puis assez bénir Dieu de la résolution que vous prenez de combattre vous-même pour la religion chrétienne dans un temps où tout le monde l’attaque et se moque d’elle ouvertement. C’est la fatale philosophie des Anglais qui a commencé tout le mal. Ces gens-là, sous prétexte qu’ils sont les meilleurs mathématiciens et les meilleurs physiciens de l’Europe, ont abusé de leur esprit jusqu’à oser examiner les mystères. Cette contagion s’est répandue partout. Le dogme fatal de la tolérance

  1. Voyez, tome XXI, le chapitre xxvvi de Candide.
  2. Richard Simon, oratorien (voyez tome XIV, page 137).