Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/75

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qu’une bonne tragédie. Les anges, ni vous, ni moi, ne connaissions la pièce il y a quinze jours. Je ne réponds de rien : si elle ne fait pas d’effet telle qu’elle est à présent, elle n’en fera jamais. On a bien de l’esprit dans notre voisinage, et on a l’esprit de se laisser aller à l’impression que les choses doivent faire. Si on n’est pas ému, je tiens la pièce perdue sans ressource, et je la condamne au portefeuille.


Voilà, mon cher marquis, à quel point nous en sommes.

(Corneille, Cinna, acte I, scène iii.)

Je ne vois pas pourquoi je ne donnerais pas le profit à des acteurs choisis, puisque M. Picardin, de l’Académie de Dijon, a donné le revenant-bon du Droit du Seigneur à Thieriot. Il me semble que les deux cas sont absolument semblables ; mais c’est à mes amis à me conduire dans tous les cas. Mme Denis vous fait les plus tendres compliments ; elle joue Statira supérieurement : nous avons une assez bonne Olympie, un bon Cassandre, un bon hiérophante, un bon Antigone ; Mlle Corneille dit des vers comme son oncle les faisait ; mais, par une singularité malheureuse, elle n’aime guère les vers de Pierre ; elle dit qu’elle n’entend point le raisonner, et qu’elle ne peut jouer que le sentiment ; elle est née actrice comique, tragique ; c’est un naturel étonnant. Dieu nous la devait : elle a joué Colette dans le Droit du Seigneur à faire mourir de rire. Je suis trop heureux sur mes vieux jours ; mais il me manque le bonheur de vous revoir.


4859. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
À Ferney, 15 mars.

Monsieur, je reçois la lettre dont vous m’honorez, en date du 14-25 janvier. J’avais eu l’honneur d’écrire à Votre Excellence par la voie de M. le comte de Kaunitz, qui eut la bonté de se charger de mon paquet. Je vous écrivis trois lettres[1], dès que je sus la triste nouvelle qui m’a fait verser des larmes. Je crois que, des trois lettres, vous en avez reçu deux ; la troisième, qui accompagnait un gros paquet, a eu un sort funeste ; le maître de poste de Nuremberg, à qui il était adressé, m’a mandé que le courrier qui le portait a été assassiné par des inconnus qui ont

  1. Ces trois lettres sont perdues ; car celle du 14 janvier (n° 4802) a été écrite avant que Voltaire connût la mort de l’impératrice Élisabeth, arrivée dix jours auparavant (25 décembre-5 janvier).