Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/84

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viennent du cœur. Trois cents personnes, de tout rang et de tout âge, ne s’attendrissent pas, à moins que la nature ne s’en mêle ; mais pour produire cet effet, il fallait des acteurs et de l’action : tout a été tableau, tout a été animé. Mme  Denis a joué Statira comme Mlle  Dumesnil joue Mérope. Mme  d’Hermenches, qui faisait Olympie, a la voix de Mlle  Gaussin, avec des inflexions et de l’âme ; mais ce qui m’a le plus surpris, c’est notre ami Gabriel Cramer. Je n’exagère point ; je n’ai jamais vu d’acteur, à commencer par Baron, qui eût pu jouer Cassandre comme lui ; il a attendri et effrayé pendant toute la pièce. Je ne lui connaissais pas ce talent supérieur. M. Rilliet a joué le grand prêtre, comme j’aurais voulu que Sarrazin l’eût représenté. Antigone a été rendu par M. d’Hermenches avec la plus grande noblesse. Je ne reviens point de mon étonnement, et je ne me console point de n’avoir pas vu ce spectacle honoré de la présence des deux illustres académiciens[1] qui m’ont daigné aider de leurs conseils pour finir mon œuvre des six jours. Eux, et deux respectables amis[2] à qui je dois tout, et que je consulte à Paris, ont fait mon ouvrage : car malheur à qui ne consulte pas !


4868. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
À Ferney, le 25 mars.

Permettez, monseigneur, que ce vieux barbouilleur vous remercie bien sincèrement du plaisir qu’il a eu. Sans vos bontés, sans vos conseils, mon œuvre de six jours eût toujours été le chaos : permettez que je fasse lire à Votre Éminence la petite relation historique que j’envoie à M. le duc de Villars[3]. Quand elle l’aura lue, si tant est qu’elle daigne lire un tel chiffon, un peu de cire mis proprement sous le cachet par un de vos secrétaires rendra le paquet digne de la poste. Voilà de plaisantes négociations que je vous confie.

Je profite de tous vos conseils ; je me donne du bon temps, peut-être un peu trop, car il ne m’appartient pas de donner à souper à deux cents personnes. J’ai eu cette insolence. Nota bene que nous avions deux belles loges grillées. Nous avons combattu à Arques : où était le brave Crillon[4] ? pourquoi était-il à Montélimart ?

  1. Le cardinal de Bernis et d’Alembert.
  2. M. et Mme  d’Argental.
  3. C’est la lettre 4867.
  4. C’est le mot fameux de Henri IV.