Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/88

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curs qui se sont efforcés de me défigurer à vos yeux, vous m’avez condamné sur la foi de ces messieurs, et même vous leur avez écrit sur mon compte des choses très-mortifiantes pour moi, et d’autant plus cruelles que je ne les mérite point. Si vous eussiez daigné jeter les yeux sur mon poëme de la France sauvée, vous auriez vu que malgré notre refroidissement l’écolier est toujours juste, et qu’il goûte toujours un nouveau plaisir à rendre hommage à son maître[1]. Si vous me faisiez le tort d’en douter, je pourrais vous en donner des témoins plus faits pour être crus d’un homme comme vous et d’une trempe plus noble que celle de ces reptiles qui s’enorgueillissent de vos politesses et qui ont la bêtise de les prendre pour des suffrages. Si le métier de délateur n’était pas au-dessous de tout être qui pense, je vous apprendrais des choses qui vous feraient regretter d’avoir pu prostituer votre plume à répondre à de telles espèces, mais je ne suis pas fait pour récriminer ; je ne veux que vous assurer des sentiments éternels d’estime et d’admiration avec lesquels je serai toute ma vie, etc.


4872. — À M.  D’ALEMBERT[2].
À Ferney, 29 mars.

Mon cher et grand philosophe, vous avez donc lu cet impertinent petit libelle d’un impertinent petit prêtre qui était venu souvent aux Délices, et à qui nous avions daigné faire trop bonne chère. Le sot libelle de ce misérable[3] était si méprisé, si inconnu à Genève, que je ne vous en avais point parlé. Je viens de lire dans le Journal encyclopédique un article[4] où l’on fait l’honneur à ce croquant de relever son infamie. Vous voyez que les presbytériens ne valent pas mieux que les jésuites, et que ceux-ci ne sont pas plus dignes du carcan que les jansénistes.

Vous aviez fait à la ville de Genève un honneur qu’elle ne méritait pas ; je ne me suis vengé qu’en amusant ses citoyens. On joua Cassandre ces jours passés sur mon théâtre de Ferney,

  1. Baculard avait consacré à son maître un vers enthousiaste, qu’il accompagnait de cette note non moins hyperbolique : « M. de Voltaire est le premier poëte français qui ait dit des choses et non des mots. C’est le premier aussi qui ait su tourner la maxime en sentiment, ses écrits ne respirent que l’amour de l’humanité, l’obéissance et le respect dû au souverain, la bonté du maître duc à son peuple. Nul auteur n’a su mieux que lui combattre le fanatisme et la sédition, il les a rendus également odieux et ridicules. » La France sauvée (1757), page 8. (Desn.)
  2. Cette lettre fut imprimée, étrangement défigurée, dans un journal anglais (voyez n° 5010) ; Voltaire s’en plaint encore dans les lettres 5021 et 5062.
  3. Vernet, auteur des Lettres critiques d’un voyageur anglais ; voyez tome XXV, pages 491 et 492.
  4. Le Journal encyclopédique du 15 mars contient, pages 73-77, un article sur l’ouvrage de Vernet.