Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai envoyé à mes frères cette petite relation[1], adressée à M. le duc de Villars, qui me vit esquisser Cassandre si vite, lorsqu’il était chez moi. Je prie mon cher frère de dire au frère Platon[2] que ce qu’il appelle pantomime je l’ai toujours appelé action. Je n’aime point le terme de pantomime pour la tragédie. J’ai toujours songé, autant que je l’ai pu, à rendre les scènes tragiques pittoresques. Elles le sont dans Mahomet, dans Mérope, dans l’Orphelin de la Chine, surtout dans Tancrède. Mais ici toute la pièce est un tableau continuel. Aussi a-t-elle fait le plus prodigieux effet. Mérope n’en approche pas quant à l’appareil et à l’action ; et cette action est toujours nécessaire, elle est toujours annoncée par les acteurs mêmes. Je voudrais qu’on perfectionnât ce genre, qui est le seul tragique : car les conversations sont à la glace, et les conversations amoureuses sont à l’eau rose.

Je suis affligé de la Martinique et de mon roué. Nous sommes bien sots et bien fanatiques ; mais l’Opéra-Comique répare tout.

Je bénis Dieu de m’avoir donné un frère tel que vous.


4878. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
4 avril.

Mes anges, mes anges, rit-on encore à Paris ? Va-t-on en foule au savetier Blaise et au Maréchal[3] ? Pour moi, je pleure. Vos Parisiens ne voient que des Parisiens, et moi, je vois des étrangers, des gens de tous les pays ; et je vous réponds que toutes les nations nous insultent et nous méprisent. Voilà un commencement bien douloureux pour MM. de Choiseul[4]. Ce n’est certainement pas la faute de monsieur le comte si Pierre s’unit avec Luc ; ce n’est pas la faute de monsieur le duc si les Anglais nous ont pris la Martinique, et s’ils vont peut-être détruire la seule flotte qui nous restait ; mais ces événements funestes doivent percer le cœur des deux ministres que vous aimez, et à qui je suis attaché. Que faire ? jouer le Droit du Seigneur. Il n’y a pas d’autre parti à prendre après le saint temps de Pâques. Les Anglais auront dépouillé le vieil homme[5] ; on aura oublié la Martinique ; il ne sera plus question de rien. Je ne crains que

  1. C’est la lettre 4867.
  2. Diderot, appelé aussi quelquefois Tonpla.
  3. Blaise le savetier est un opéra-comique de Sedaine ; le Maréchal ferrant est de Quétant.
  4. L’un était ministre de la guerre ; l’autre, des affaires étrangères.
  5. Saint Paul, aux Éphésiens, iv, 22 ; et aux Colossiens, iii, 9.