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il y en ait cinq qui le déclarent innocent. Le testament de mort de l’accusé vaut encore pour le moins trois juges. Enfin cette affaire est épouvantable de part ou d’autre. Je souhaite que votre petite tracasserie avec le roi[1] finisse bientôt, et que vous réprimandiez au moins le curé de Moëns, car il n’y a pas moyen de le rouer.

Si Calas et les huit pénitents blancs avaient été philosophes, notre siècle ne serait pas déshonoré par ces horreurs.

Je ne crois pas que nos philosophes veuillent empêcher nos vignerons et nos laboureurs d’aller à la messe, mais je crois qu’ils voudraient empêcher les honnêtes gens d’être les victimes d’une superstition aussi absurde qu’abominable, qui ne sert qu’à enrichir des fripons oisifs et à pervertir des âmes faibles. Ceux qui veulent que leurs amis pensent comme Cicéron, Platon, Lucrèce, Marc Antonin, etc., n’ont pas tant de tort… Pour la canaille il n’y faut pas penser.

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

4877. — À M.  DAMILAVILLE.
4 avril.

Mes chers frères, il est avéré que les juges toulousains ont roué le plus innocent des hommes. Presque tout le Languedoc en gémit avec horreur. Les nations étrangères, qui nous haïssent et qui nous battent, sont saisies d’indignation. Jamais, depuis le jour de la Saint-Barthélémy, rien n’a tant déshonoré la nature humaine. Criez, et qu’on crie.

Voici un petit ouvrage[2] auquel je n’ai d’autre part que d’en avoir retranché une page de louanges injustes que l’on m’y donnait. Je serais très-fâché qu’on crût que j’en aie eu la moindre connaissance ; mais je serais très-aise qu’il parût, parce qu’il est, d’un bout à l’autre, de la vérité la plus exacte, et que j’aime la vérité. Il faut qu’on la connaisse jusque dans les plus petites choses. Il n’y a qu’à donner cette brochure à imprimer à Grangé ou à Duchesne.

  1. Le parlement de Dijon avait été attaqué dans ses prérogatives et sa réputation par des écrits du sieur Varennes, et n’avait pu obtenir satisfaction. Par suite il avait cessé d’expédier les affaires, ses magistrats ne se reconnaissant pas l’esprit assez libre pour rendre la justice aux sujets du roi.
  2. Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas, etc. ; voyez tome XXIV, pag-e 365.