Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impossible, en ce cas, d’exprimer ce qu’on veut dire. Il est d’ailleurs de l’honneur de la langue française qu’on l’emploie dans les monuments. Elle est entendue plus généralement que la latine. Je suis fâché, madame, de vous parler d’une chose qui renouvelle vos douleurs ; mais aussi c’est une consolation que vous vous donnez et que je me donne à moi-même. Sans une occupation qui me tiendra ici une année entière, je viendrais pleurer avec vous. On ne m’a rien mandé de l’œil de Mme de Pompadour, ni des deux de M. d’Argenson. Je les plains l’un et l’autre ; mais je suis obligé de plaindre M. d’Argenson au double.

Adieu, madame ; conservez vos yeux. Ni vous ni moi ne portons encore de lunettes. Remercions la nature.

Mille tendres respects.


4880. — À MADEMOISELLE ***.
Aux Délices, le 15 avril.

Il est vrai, mademoiselle, que, dans une réponse que j’ai faite à M. de Chazelles[1], je lui ai demandé des éclaircissements sur l’aventure horrible de Calas, dont le fils a excité ma douleur autant que ma curiosité. J’ai rendu compte à M. de Chazelles des sentiments et des clameurs de tous les étrangers dont je suis environné ; mais je ne peux lui avoir parlé de mon opinion sur cette affaire cruelle, puisque je n’en ai aucune. Je ne connais que les factums faits en faveur des Calas, et ce n’est pas assez pour oser prendre parti.

J’ai voulu m’instruire en qualité d’historien. Un événement aussi épouvantable que celui d’une famille entière accusée d’un parricide commis par esprit de religion ; un père expirant sur la roue pour avoir étranglé de ses mains son propre fils, sur le simple soupçon que ce fils voulait quitter les opinions de Jean Calvin ; un frère violemment chargé d’avoir aidé à étrangler son frère ; la mère accusée ; un jeune avocat[2] soupçonné d’avoir servi de bourreau dans cette exécution inouïe ; cet événement, dis-je, appartient essentiellement à l’histoire de l’esprit humain et au vaste tableau de nos fureurs et de nos faiblesses, dont j’ai déjà donné une esquisse.

Je demandais donc à M. de Chazelles des instructions, mais je n’attendais pas qu’il dût montrer ma lettre. Quoi qu’il en soit,

  1. Elle est perdue. (B.)
  2. Lavaysse.