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je persiste à souhaiter que le parlement de Toulouse daigne rendre public le procès de Calas, comme on a publié celui de Damiens. On se met au-dessus des usages dans des cas aussi extraordinaires. Ces deux procès intéressent le genre humain ; et si quelque chose peut arrêter chez les hommes la rage du fanatisme, c’est la publicité et la preuve du parricide et du sacrilège qui ont conduit Calas sur la roue, et qui laissent la famille entière en proie aux plus violents soupçons. Tel est mon sentiment.


4881. — À M.  P***,
qui n’avait adressé à voltaire divers fragments de poëtes anglais, traduits en vers français[1].
Ferney, 15 avril 1762.

J’ai reçu, monsieur, avec autant de plaisir que de reconnaissance, vos essais de traduction de quelques poètes anglais. L’ancienne dureté de leur langue semblait peu favorable à la poésie, mais peu à peu elle s’est changée en force et en énergie. Sa richesse et les différentes inversions qu’elle a adoptées la rendraient propre à tout exprimer.

D’ailleurs, les expressions vigoureuses de cette langue se sont considérablement accrues par la nature du gouvernement, qui permet aux Anglais de parler en public, et par la liberté de conscience, qui familiarise toutes les sectes avec le langage des écrivains sacrés, dont elles font une étude particulière. Aussi la poésie anglaise approche souvent de ce sublime oriental qui paraît presque surnaturel aux autres peuples. Du temps de Cromwell, toutes les harangues du parlement étaient pleines de termes tirés des écrivains hébreux.

La langue française n’ayant pas eu les mêmes secours n’est pas aussi riche qu’elle pourrait l’être. De plus, nous avons abandonné une foule d’anciennes expressions fort énergiques, et cette perte a un peu affaibli notre poésie. Les Anglais, au contraire, ont nationalisé plusieurs de nos vieux mots, comme, dans le temps de la révocation de l’édit de Nantes, ils ont naturalisé plusieurs de nos compatriotes. Ils ont ainsi augmenté à nos dépens et leur langue et leur population.

Mais moins le français offre de ressources, plus je suis recon-

  1. Publié par M. G. Brunet, dans le Bibliophile belge, tome III. — La lettre précédente, qui est du même jour, est daté des Délices. Mais ce n’est pas la première fois que le cas se présente.