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5579. — À M. D’ALEMBERT.
1er mars.

Je dois vous dire, mon très-cher philosophe, que si j’avais des citoyens à persuader de la nécessité des lois, je leur ferais voir qu’il y en a partout, même au jeu, qui est un commerce de fripons, même chez les voleurs :


Hanno lor leggi i malandrini ancora[1].


C’est ainsi que le bon prêtre auteur de la Tolérance a dit aux Welches[2], nommés Francs et Français : Mes amis, soyez tolérants, car César, qui vous donna sur les oreilles, et qui fit pendre tout votre parlement de Bretagne, était tolérant. Les Anglais, qui vous ont toujours battus, reconnaissent depuis cent ans la nécessité de la tolérance. Vous prétendez que votre religion doit être cruelle autant qu’absurde, parce qu’elle est fondée, je ne sais comment, sur la religion du petit peuple juif, le plus absurde et le plus barbare de tous les peuples ; mais je vous prouve, mes chers Welches, que tout abominable qu’était ce peuple, tout atroce, tout sot qu’il était, il a cependant donné cent exemples de la tolérance la plus grande. Or, si les tigres et les loups de la Palestine se sont adoucis quelquefois, je propose aux singes mes compatriotes de ne pas toujours mordre, et de se contenter de danser.

Voilà, mon cher philosophe, tout le mystère de ce bon prêtre. Il voulait dans son texte inspirer de l’indulgence, et rendre dans ses notes les Juifs exécrables. Il voulait forcer ses lecteurs à respecter l’humanité, et à détester le fanatisme. Six[3] personnes des plus considérables de votre royaume ont approuvé ces maximes, et c’est beaucoup.

On n’aurait pas, il y a soixante ans, trouvé un seul homme d’État, à commencer par le chancelier d’Aguesseau[4], qui n’eût fait brûler le livre et l’auteur. Aujourd’hui on est très-disposé à

  1. Maffei, dans sa Mérope, acte IV, scène iii, a dit

    Hanno il lor Giove i malandrini ancora.

  2. Voyez le Discours aux Welches, tome XXV, page 229.
  3. Dans la lettre 5456, Voltaire en nomme trois.
  4. D’Aguesseau refusa, en 1741, le privilège pour l’impression des Élements de la philosophie de Newton ; voyez tome XXII, page 393.