Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/155

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permettre que ce livre perce dans le public avec quelque discrétion, et je voudrais que frère Damilaville vous en fit avoir une demi-douzaine d’exemplaires, que vous donneriez à d’honnêtes gens qui le feraient lire à d’autres gens honnêtes : ces sages missionnaires disposeraient les esprits, et la vigne du Seigneur serait cultivée.

Je sais bien, mon cher maître, qu’on pouvait s’y prendre d’une autre façon pour prêcher la tolérance : eh bien, que ne le faites-vous ? qui peut mieux que vous faire entendre raison aux hommes ? qui les connaît mieux que vous ? qui écrit comme vous d’un style mâle et nerveux ? qui sait mieux orner la raison ? Mais venons au fait. Cette tolérance est une affaire d’État, et il est certain que ceux qui sont à la tête du royaume sont plus tolérants qu’on ne l’a jamais été ; il s’élève une génération nouvelle qui a le fanatisme en horreur. Les premières places seront un jour occupées par des philosophes : le règne de la raison se prépare ; il ne tient qu’à vous d’avancer ces beaux jours, et de faire mûrir les fruits des arbres que vous avez plantés.

Confondez donc ce maraud de Crevier ; fessez cet âne qui brait et qui rue.

Vraiment je sais très-bien à quoi m’en tenir depuis longtemps sur la personne dont vous me parlez[1] ; mais entre quinze-vingts il faut se pardonner bien des choses. Vous avez vous-même à lui pardonner plus que moi ; vous savez d’ailleurs que dans la société on dit du bien et du mal du même individu vingt fois par jour. Pourvu que la vigne du Seigneur aille bien, je suis indulgent pour les pécheurs et les pécheresses. Je ne connais rien de sérieux que la culture de la vigne ; je vous la recommande ; provignez, mon cher philosophe, provignez.

Je suis bien aise que les Contes de feu Guillaume Vadé vous amusent. Mlle Catherine Vadé, sa cousine, en a beaucoup de cette espèce, mais elle n’ose les donner au public. Son cousin Vadé les faisait pour amuser sa famille pendant l’hiver au coin du feu ; mais le public est plus difficile que sa famille. Elle craint beaucoup que quelque libraire ne s’empare de ce précieux dépôt, comparable au chapitre des torche-culs de Gargantua. Ce sont de petits amusements qu’il faut permettre aux sages : on ne peut pas toujours lire les Pères de l’Église, il faut se délasser. Riez, mon cher philosophe, et instruisez les hommes. Conservez-moi votre amitié. Écr. l’inf…

  1. Voyez la lettre 5571, page 137.