Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/221

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J’ai toujours sur le cœur la tracasserie qu’on m’a voulu faire avec Cramer. N’est-il pas bien singulier qu’un homme s’avise d’écrire de Paris à Genève que je jette feu et flamme contre les Cramer, que je parle d’eux dans toutes mes lettres avec dureté et mépris, que je veux faire saisir leur livre, etc. ? Et pourquoi, s’il vous plaît, tout ce fracas ? Parce que je n’ai pas voulu que mon nom figurât avec la famille Vadé, et que je me suis cru indigne de cet honneur. Quand on l’a ôté, j’ai été content, et voilà tout.

Vous me feriez grand plaisir d’écrire à Gabriel qu’on l’a très-mal informé ; que celui qui lui a mandé ces sottises n’est qu’un semeur de zizanie. M. Crommelin, qui est un ministre de paix, ne la sèmera pas sans doute, et je crois avoir fait assez de bien aux Cramer pour être en droit de compter sur leur reconnaissance. Je ne veux avoir pour ennemis que les fanatiques et les Fréron. Les Cramer sont mes frères ; ils sont philosophes, et les philosophes doivent être reconnaissants ; je leur ai fait présent de tous mes ouvrages, et je ne m’en repens point.

Quant à l’édition qu’on veut faire des Commentaires du Corneille détachés du texte, je crois que les libraires de Paris doivent me savoir quelque gré des mesures que je leur propose, uniquement pour leur faire plaisir. Je ne veux que le bien de la chose. Je donne tout gratis aux comédiens et aux libraires. Je fais quelquefois des ingrats ; ce n’est pas la seule tribulation attachée à la littérature.

Cramer s’était chargé de donner des exemplaires du Corneille à Lekain, à Mlle  Clairon, à Mlle  Dumesnil ; pour moi, je n’en ai qu’un seul exemplaire, encore est-il sans figures. Je ne me suis mêlé de rien, sinon de perdre les yeux avec une malheureuse petite édition de Corneille, en caractère presque inlisible ; édition curieuse et rare[1], sur laquelle j’ai fait la mienne. J’ai été le seul correcteur d’épreuves ; je me suis donné des peines assez grandes pendant deux années entières : elles ont servi du moins à marier deux filles ; mais je ne me suis mêlé en aucune manière des autres détails.

Adieu, mon cher frère. Vous m’avez envoyé un livre sur l’inoculation[2] ; cela me fait croire qu’elle sera bientôt défendue. Ô pauvre raison, que vous êtes étrangère chez les Welches !

  1. L’édition de 1644 ; voyez tome XLI, page 367.
  2. Réflexions sur les préjugés qui s’opposent aux progrès et à la perfection de l’inoculation (rédigées par Morellet, sous la dictée de Gatti), in-8o de 239 pages.