Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/259

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lapin[1] à qui on fait accroire qu’il est un foudre de guerre. Il y a deux ans que Jean-Jacques, auteur de quelques comédies, s’avisa d’écrire contre la comédie. Je ne sais pas trop bien quelle était sa raison ; mais cela n’était guère raisonnable.

Jean-Jacques ajouta à cette saillie celle de m’écrire[2] que je corrompais sa patrie en faisant jouer la comédie chez moi en France, à deux lieues de Genève. Je ne lui fis point de réponse. Il s’imagina que j’étais fort piqué contre lui, quoiqu’il dût savoir que les choses absurdes ne peuvent fâcher personne. Croyant donc m’avoir offensé, il s’est allé mettre dans la tête que je m’étais vengé, et que j’avais engagé les magistrats de Genève à condamner sa personne et son livre. Cette idée, comme vous le voyez, est encore plus absurde que sa lettre. Que voulez-vous ? Il faut avoir pitié des infortunés à qui la tête tourne ; il est trop à plaindre pour qu’on puisse se fâcher contre lui.

Permettez-moi de souscrire pour votre Avant-Courreur. Si jamais d’ailleurs j’obtiens quelque crédit dans le sanhédrin de la comédie, je vous ferai recevoir spectateur, et vous pourrez me siffler à votre aise. Sans cérémonie.


5684. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
22 juin.

Je crois, mes divins anges, toutes réflexions faites, qu’il faut que le roi de Pologne se contente du paquet qui est chez M. Delaleu depuis plus d’un mois, et qu’il fasse comme le roi son gendre et moi chétif : car s’il prend les vingt-cinq exemplaires, il n’en restera plus pour ceux à qui j’en destinais. C’est une négociation que vous pouvez très-bien faire avec M. de Hullin, qui est sans doute un ministre conciliant.

Je vous conjure, mes divins anges, de recommander le plus profond secret[3] à messieurs de la Gazette littéraire. Je ne fais pas grand cas des vers de Pétrarque : c’est le génie le plus fécond du monde dans l’art de dire toujours la même chose ; mais ce n’est pas à moi à renverser de sa niche le saint de l’abbé de Sade.

  1. Dans La Fontaine, livre II, fable xiv, le personnage est un lièvre et non Jeannot lapin.
  2. Le 17 juin 1760.
  3. Pour l’article imprimé dans la Gazette littéraire du 6 juin, et qui est tome XXV, page 186. Mais voyez, dans une note sur la lettre 5694, comment le secret fut gardé.