Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/27

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Je regrette aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, de ne point faire de vers ; je ne peux répondre aux vôtres qu’en prose, mais je peux vous assurer que depuis 1746, que je dispose de mon temps, je vous ai les plus grandes obligations. Avant cette époque je ne lisais que des romans, mais par hasard vos ouvrages me tombèrent dans les mains ; depuis je n’ai cessé de les lire, et n’ai voulu d’aucuns livres qui ne fussent aussi bien écrits, et où il n’y eût autant à profiter. Mais où les trouver ? Je retournai donc à ce premier moteur de mon goût et de mon plus cher amusement. Assurément, monsieur, si j’ai quelques connaissances, c’est à lui seul que je les dois. Mais, puisqu’il se défend par respect de me dire qu’il baise mon billet[1], il faut par bienséance que je lui laisse ignorer que j’ai de l’enthousiasme pour ses ouvrages. Je lis à présent l’Essai sur l’Histoire générale : je voudrais savoir chaque page par cœur, en attendant les Œuvres du grand Corneille, pour lesquelles j’espère que la lettre de change est expédiée.


Catherine.

5438. — À M. FYOT DE LA MARCHE[2].
(fils.)
À Ferney, 16 octobre 1763.

Monsieur, lorsque vous me fîtes l’honneur de vouloir bien passer à Ferney, je crois que vous daignâtes voir mon théâtre, mais j’eus la modestie de ne pas vous montrer mon église : elle est pourtant assez jolie, et je l’ai fait bâtir pour faire plaisir à mon curé, qui n’avait qu’une grange, surmontée d’une espèce de clocher dans lequel on avait placé une sonnette. Il peut d’ailleurs se vanter d’avoir les plus belles chasubles de la province. J’ai pris soin de ses terres, qui lui rapportent environ douze cents livres de revenu.

Je prends la liberté, monsieur, de vous faire cette petite préface pour vous représenter avec quelle reconnaissance il m’a voulu dépouiller de mes dîmes dès que je l’ai mis par mes libéralités en état de me faire un procès. C’est à propos de ces dîmes, monsieur, que vous avez sans doute reçu une lettre de M. le duc de Praslin, de la part du roi[3]. Vous savez sans doute sur quoi cette lettre est fondée. Toutes les terres du pays de Gex avaient appartenu aux Bernois au commencement du XVIe siècle. Ils vendirent toutes ces seigneuries avec les dîmes, et lorsqu’ensuite ;

  1. Voyez la lettre de Voltaire à Pictet. n° 5421.
  2. Éditeur, H. Beaune.
  3. La lettre 5431.