Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/28

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ils firent la paix avec les ducs de Savoie, il fut stipulé que tous les seigneurs resteraient en possession des dîmes achetées par eux. On donna ensuite des terres aux curés, ces domaines leur tinrent lieu de dîmes, et ils y gagnèrent beaucoup. Nos rois furent les garants de toutes ces conventions dans tous les traités qu’ils firent avec la Suisse et la Savoie. Henri IV n’acquit le pays de Gex qu’à cette condition. Louis XIV maintint nos privilèges par le traité d’Arau.

Les curés croient que les dîmes sont plus sacrées que les traités ; et malheureusement ces conventions de nos rois n’ayant point été enregistrées au parlement de Dijon, les seigneurs du pays de Gex seraient exposés à perdre la plus belle de leurs prérogatives et le plus essentiel de leur revenu, s’ils étaient jugés suivant le droit commun.

Mon curé avait assigné au parlement MM. de Budé, dont j’ai acquis la terre de Ferney, n’osant pas attaquer encore ma nièce et moi, dans le temps même que nous l’accablions de bienfaits. Le procès était depuis longtemps au conseil du roi ; mais MM. de Budé nous ayant vendu la terre, ne songeant plus à ce procès et ne se défendant plus, le curé avait aisément obtenu un arrêt par défaut qui le renvoyait, suivant ses conclusions, par-devant le parlement. Il nous cacha longtemps cette manœuvre, mais enfin elle a éclaté. Permettez-moi donc, monsieur, de vous demander votre protection dans cette affaire, et d’oser joindre mes prières à celles de M. le duc de Praslin, puisque ce qu’il vous dit en général me regarde en particulier. Je ne puis conserver ma dîme qu’à la faveur des traités, et, si je la perdais, ma terre serait entièrement dégradée. Elle rendrait au curé beaucoup plus qu’au seigneur : j’aurais perdu toutes mes dépenses et toutes mes peines.

Je vous avoue que je vous devrai, monsieur, une des plus grandes consolations de ma vie si vous voulez bien vous prêter à ce que M. le duc de Praslin vous demande.

Le papier me manque pour vous dire combien je vous aurai d’obligation et avec combien de reconnaissance et de respect j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.