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Daignez recevoir, avec votre indulgence ordinaire, mes questions, mon tendre respect, et mon inviolable attachement.


5721. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Paris, le 21 juillet.

Mes voyages et mes affaires m’ont empêché, mon cher confrère, de répondre plus tôt à votre dernière lettre ; mais soyez bien persuadé que je vous aime toujours. J’ai lu l’Éducation d’un prince[1], qui m’a paru charmante. À l’égard de vos remarques sur Corneille, bien des gens les trouvent trop sévères, et quelquefois peu respectueuses. Quant à moi, je voudrais qu’on gardât pour les vivants tous les égards de la politesse, et qu’il fût permis de dire librement son avis sur les morts. Quoique archevêque, j’aimerai toujours les lettres, et je les cultiverai dans les intervalles de mes occupations. Je hais le pédantisme jusque dans les vertus ; ainsi, en remplissant mes devoirs de pasteur, je n’abandonnerai pas entièrement les livres, ni la société des gens d’esprit.

Je partirai au mois d’octobre pour Alby, où je passerai un an de suite ; j’espère que vous m’y donnerez régulièrement de vos nouvelles, et que vous me ferez part de tous les petits ouvrages qu’il sera convenable d’envoyer à un cardinal archevêque.

Je vais travailler au bonheur de trois cent vingt-sept paroisses : je vous avoue que je suis bien aise d’en avoir le pouvoir, et que la vie ne me paraît qu’une simple végétation à moins qu’on ne l’emploie à éclairer les hommes, et à les rendre plus heureux, et meilleurs. Adieu, mon cher confrère ; du pied de vos Alpes instruisez, amusez l’Europe, et conservez votre gaieté, qui vous a fait vivre pour la gloire des lettres.


5722. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
Aux Délices, 24 juillet.

Quoique j’aie très-peu vécu à Paris, mademoiselle, j’y ai vu retrancher au théâtre la première scène de Cinna. Je vous félicite de l’avoir rétablie[2], et encore plus de n’avoir point dit ma chère âme[3]. Je vous prie de vouloir bien lire les remarques sur

  1. L’un des contes en vers de Voltaire ; voyez tome X.
  2. Voltaire, dans sa jeunesse, en avait conseillé le rétablissement à une actrice ; voyez tome XXXI, page 321.
  3. Tome XXXI, page 291, Voltaire dit que Mlle Clairon a rétabli ma chère âme dans la scène v de l’acte II d’Horace. Mlle Clairon lui avait sans doute fait savoir qu’elle n’avait pas rétabli ces mots, et qu’elle disait : Iras-tu, Curiace ? selon la leçon donnée par Corneille lui-même dans l’édition de 1660 et dans les éditions suivantes. Les mots ma chère âme ne sont pas dans le rôle d’Émilie de Cinna.