Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/325

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mal fait de refuser les honneurs qui l’attendaient dans le Nord. Il aurait eu beau se vêtir de peaux de martre, il y aurait laissé la sienne, car sa santé n’est pas digne de ce beau climat ; et, tout bon géomètre qu’il est, il aurait eu peine à résoudre le problème de ce qui vient de se passer au bord de la mer Baltique[1]. On conte cet événement avec des circonstances si atroces qu’on croirait que ce sont des dévots qui ont conduit toute l’aventure. Après tout, cette barbarie n’est pas bien tirée au clair.

Mais les horreurs de ce monde ne doivent pas vous dégoûter de la philosophie. Au contraire, nos philosophes devraient tous sentir qu’ils passent leur vie entre des renards et des tigres, et par conséquent s’unir ensemble et se tenir serrés.

[2]Vous avez sans doute reçu le paquet que je vous envoyai, il y a quelques jours, pour M. Blin de Sainmore. Il se dévoue courageusement à la défense de la vérité, au sujet des Commentaires.

Bonsoir, mon cher philosophe ; il y a peu de vrais frères.

Voudriez-vous bien faire passer cette lettre à frère Protagoras ?


5758. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
10 septembre.

Votre estampe est digne de vous et de M. Vanloo, mademoiselle ; c’est un très-beau tableau qui passera à la postérité, ainsi que votre nom. La grâce que le roi vous a faite[3] montre que les arts ne sont pas entièrement abandonnés. Je me flatte que le roi ne fera pas la même grâce au curé de Saint-Sulpice[4]. J’ai vu, dans quelques papiers publics, que ce prêtre avait fait banqueroute, et j’en ai été très-édifié. Ce qui est bien sûr, c’est que ce maraud-là ne m’enterrera pas. Je souhaite que vous enterriez tous ceux de Paris, et que vous ayez autant de bons acteurs qu’il y a de curés et de vicaires. Comptez, mademoiselle, sur le véritable attachement de celui qui a l’honneur de vous écrire.

  1. L’assassinat du prince Ivan.
  2. Dans la Correspondance de Grimm, la fin de cette lettre fait partie de celle du 19 septembre, n° 5763.
  3. La princesse de Gallitzin, admiratrice de Mlle Clairon, avait fait peindre cette actrice par Carle Vanloo, dans le rôle de Médée. Ce tableau étant en la possession de Mlle Clairon, le roi Louis XV ordonna qu’il fût gravé à ses frais, et fit présent à l’actrice de la planche.
  4. Dulau d’Allemant.