Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/370

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Vous me direz peut-être que j’aurais dû m’adresser à M. de Montpéroux, qui est résident à Genève ; mais il est tombé en apoplexie, et il a même tellement perdu la mémoire qu’il oublie l’argent qu’on lui a prêté. Il s’enferme chez lui avec un vicaire de village qu’il a pris pour aumônier, lequel vicaire, par parenthèse, n’est pas l’ami des possesseurs de dîmes, et excite violemment les curés contre les seigneurs. Ce pauvre M. de Montpéroux a été piqué, je ne sais pas pourquoi, que les articles pour la Gazette littéraire n’aient pas passé par ses mains. C’est une étrange chose que cette petite jalousie ! mais que faire ? Il faut passer aux hommes leurs faiblesses. Nous nous flattons, Mme Denis et moi, que si M. de Montpéroux ni son vicaire turbulent n’empêcheront l’effet des bontés de M. le duc de Praslin pour Mme Denis contre le concile de Latran.

Le grand point est que le roi soit détrompé sur ce petit Dictionnaire, qu’il ne lira assurément pas. Des beaux esprits de Paris pourront dire : « C’est lui, messieurs ; voilà son style. Il a fait l’article Amour et Amitié il y a cinq ou six ans : donc il a fait Apocalypse et Messie. » Le roi est trop bon et trop équitable pour me condamner sur les discours de M. de Pompignan.

Croyez-vous qu’il soit nécessaire que j’écrive à M. le prince de Soubise pour détromper Sa Majesté ?

Le petit abbé d’Étrée[1], qui n’est pas assurément descendant de Gabrielle, emploie toutes les ressources de son métier de généalogiste pour prouver que le diable engendra Voltaire, et que Voltaire a engendré le Dictionnaire philosophique.

Vraiment, le marquis d’Argens est bien autrement engendré du diable ; il a traduit l’admirable Discours de l’empereur Julien contre les chrétiens[2], il l’a enrichi de remarques très-curieuses, et d’un discours préliminaire plus curieux encore. C’est un ouvrage diabolique : on est forcé de regarder Julien comme le premier des hommes de son temps. Il est bien triste qu’un apostat comme lui ait eu plus de vertu dans le cœur, et plus de justesse dans l’esprit, que tous les Pères de l’Église. Le marquis d’Argens s’est surpassé en commentant cet ouvrage.

À l’ombre de vos ailes.

  1. Voyez lettre 5798.
  2. Voyez tome XXV, page 178 ; et XXVIII, I.