Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/388

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Je crois comme vous, madame, que la scène française expire aux pieds de l’Opéra-Comique ; il n’y a que les femmes qui la soutiennent, comme il n’y a qu’elles qui fassent les agréments de la société. Les hommes sont pitoyables au théâtre, et je ne sais s’ils valent beaucoup mieux ailleurs.

Je ne peux avoir l’honneur de vous écrire et de vous remercier de ma main ; je deviens toujours aveugle avec les neiges ; je crois que je suis le premier qui ait éprouvé un aveuglement périodique. Il n’en est pas de même de mes sentiments : mon estime et mon tendre respect pour vous ne souffrent jamais d’altération.


5823. — À M. PIERRE ROUSSEAU.
auteur du « journal encyclopédique ».
Aux Délices, près de Genève, 19 novembre.

Il est vrai, monsieur, comme vous le dites dans votre lettre du 4 du courant, qu’on débite toujours quelque chose sous mon nom, comme on donne quelquefois du vin du cru pour des vins étrangers. Ceux qui font ce négoce se trompent encore plus qu’ils ne trompent le public ; mon vin a toujours été fort médiocre : et ceux qui débitent le leur sous mon nom ne feront pas fortune.

J’apprends que, pour surcroît, on vient d’imprimer en Hollande mes Lettres secrètes[1] ; je crois qu’en effet ce recueil sera très-secret, et que le public n’en saura rien du tout. Il me semble que c’est à la fois offenser ce public et violer tous les droits de la société que de publier les lettres d’un homme avant sa mort sans son consentement ; mais lui imputer des lettres qu’il n’a point écrites, c’est le métier d’un faussaire. Ce recueil n’est point parvenu dans ma retraite ; on m’assure qu’il est fort mauvais, et j’en suis très-bien aise.

Je présume au reste que, dans ces lettres familières qu’on débite sous mon nom, il n’y en aura aucune qui commence comme celles de Cicéron : « Si vous vous portez bien, j’en suis bien aise : pour moi, je me porte bien. » Ce serait là trop clairement un mensonge imprimé.

Je conçois qu’on imprime les lettres d’Henri IV, du cardinal d’Ossat, de Mme deSévigné ; Racine le fils a même donné au public quelques lettres de son illustre père, dont on pardonne l’inu-

  1. Voyez la note, tome XXVI, page 135.