Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/422

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fluxions, que votre présence guérira. Mais serez-vous en effet assez bon pour venir habiter une petite cellule dans mon petit couvent ? Il me semble que Dieu a daigné me pétrir d’un petit morceau de la pâte dont il vous a façonné. Nous aimons tous deux la campagne et les lettres : embarquez-vous sur notre fleuve ; je vous recevrai à la descente du bateau, et je dirai : Benedictus qui venit in nomine Apollinis[1] !

Je n’ai point encore entendu parler de votre second tome[2] ; mais quand il viendra, je ne saurai comment faire pour le lire. Il y a trois mois que je suis obligé de me servir des yeux d’autrui. Jugez s’il y a quelque apparence au beau conte qu’on vous a fait que j’avais mis quelques observations dans la Gazette littéraire. Je ne lis depuis longtemps aucune gazette, pas même l’ecclésiastique.

Il est juste que vous ayez beaucoup de jésuites dans Avignon ; d’Assouci et eux sont sauvés en terre papale. Les parlements ont fait du mal à l’ordre, mais du bien aux particuliers ; ils ne sont heureux que depuis qu’ils sont chassés. Mon jésuite Adam était mal couché, mal vêtu, mal nourri ; il n’avait pas un sou, et toute sa perspective était la vie éternelle. Il a chez moi une vie temporelle qui vaut un peu mieux. Peut-être que dans un an il n’y aura pas un seul de ces pauvres gens qui voulût retourner dans leurs collèges, s’ils étaient ouverts. Du reste, nous ignorons, Dieu merci, tout ce qui se passe dans le monde, et nous nous trouvons fort bien de notre ignorance. Le meilleur parti qu’on puisse prendre avec les hommes, c’est d’être loin d’eux, pourvu qu’on soit avec un homme comme vous. Mon indifférence pour le genre humain augmentera quand je jouirai du bonheur que vous me faites espérer. Je prends la liberté d’embrasser de tout mon cœur le parent de Laure et l’historien de Pétrarque, qui est de meilleure compagnie que son héros.


5858. — À M.  D’ALEMBERT.
26 décembre.

J’ai lu, mon cher philosophe, l’histoire de la Destruction avec autant de rapidité que vous l’avez écrite, et avec un plaisir que je n’avais pas connu depuis la première lecture des Lettres provin-

  1. Psaume cxvii, 26 ; et Luc, xiii, 35.
  2. Des Mémoires pour la Vie de François Pétrarque : voyez tome XXV, page 186 ; l’article est de Voltaire, quoiqu’il le désavoue ici.