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5864. — À M.  BERTRAND.
À Ferney, 1er janvier 1765.

Mon cher philosophe, je vous assure que je ne prends aucun intérêt au livre[1] dont vous me parlez. Je cultive mes champs, et je m’embarrasse fort peu de ce qu’on écrit et de ce qu’on fait ailleurs. Je suis assez embarrassé de mes affaires sérieuses, et je n’ai guère le temps de me mêler des petits amusements dont vous me faites part. Tout ce que je sais bien certainement, c’est que le livre en question est de plusieurs mains. Il y a plus de deux mois que le hasard a fait tomber entre les miennes quelques manuscrits de l’ouvrage.

Un de ces articles est écrit de la propre main d’un des premiers pasteurs de votre religion réformée, ou prétendue réformée. Tout cela vous regarde, et non pas moi : je ne suis qu’un pauvre cultivateur qui vous aime tendrement, et qui ne dispute jamais. Quand vous serez Turc, je chanterai Allah ! avec vous ; quand vous serez païen, je sacrifierai avec vous aux Muses : tous les hommes sont frères, et les meilleurs frères sont ceux qui cultivent les lettres.

Je suis très-fraternellement à vous pour ma vie.


5865. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[2].
Berlin, 1er janvier.

Je vous ai cru si occupé à écraser l’inf… que je n’ai pu présumer que vous pensiez à autre chose. Les coups que vous lui avez portés l’auraient terrasée il y a longtemps, si cette hydre ne renaissait sans cesse du fond de la superstition répandue sur toute la face de la terre. Pour moi, détrompé dés longtemps des charlataneries qui séduisent les hommes, je range le théologien, l’astrologue, l’adepte, et le médecin, dans la même catégorie.

J’ai des infirmités et des maladies : je me guéris moi-même par le régime et par la patience. La nature a voulu que notre espèce payât à la mort un tribut de deux et demi pour cent. C’est une loi immuable contre laquelle la faculté s’opposera vainement : et quoique j’aie trés-grande opinion de l’habileté du sieur Tronchin, il ne pourra cependant pas disconvenir qu’il y a peu de remèdes spécifiques, et qu’après tout des herbes et des minéraux pilés ne peuvent ni refaire ni redresser des ressorts usés et à demi détruits par le temps.

  1. Le Dictionnaire philosophique.
  2. Réponse à une lettre de Voltaire, du 9 décembre 1764, qui s’est perdue ; voyez la lettre de Frédéric à d’Alembert, du 24 mars 1765.