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Les plus habiles médecins droguent le malade pour tranquilliser son imagination, et le guérissent par le régime : et comme je ne trouve pas que des élixirs et des potions puissent me donner la moindre consolation, dès que je suis malade, je me mets à un régime rigoureux ; et jusqu’ici je m’en suis bien trouvé.

Vous pouvez donc consoler l’Europe de la perte importante qu’elle croyait faire de mon individu (quoique je la trouve des plus minces) : car, quoique je ne jouisse pas d’une santé bien ferme ni bien brillante, cependant je vis ; et je ne suis pas du sentiment que mon existence vaille qu’on se donne la peine de la prolonger, quand même on le pourrait.

D’ailleurs, je vous suis fort obligé de la part que vous prenez à ma santé, et des choses obligeantes que vous me dites. Je regrette que votre âge donne de justes appréhensions de voir finir avec vous cette pépinière de grands hommes et de beaux génies qui ont signalé le siècle de Louis XIV. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.


Fédéric.

5866. — DE M. D’ALEMBERT.
Paris, 3 janvier.

Je ne vous le dissimule point, mon cher maître ; vous me comblez de satisfaction par tout ce que vous me dites de mon ouvrage. Je le recommande à votre protection, et je crois qu’en effet il pourra être utile à la cause commune, et que l’infâme, avec toutes les révérences que je fais semblant de lui faire, ne s’en trouvera pas mieux. Si j’étais, comme vous, assez loin de Paris pour lui donner des coups de bâton, assurément ce serait de tout mon cœur, de tout mon esprit, et de toutes mes forces, comme on prétend qu’il faut aimer Dieu ; mais je ne suis posté que pour lui donner des croquignoles, en lui demandant pardon de la liberté grande[1], et il me semble que je ne m’en suis pas mal acquitté. Puisque vous voulez bien veiller à l’impression, je vous prie de faire main basse sur tout ce qui vous paraîtra long ou de mauvais goût ; je vous en aurai une véritable obligation. Je vous prie aussi d’engager M. Cramer à hâter l’impression ; je désirerais que le caractère en fût un peu gros, afin que l’ouvrage pût être lu plus aisément, et aussi pour ses intérêts. À l’égard des miens, je les remets entre vos mains et entre celles de frère Damilaville. J’espère qu’il obtiendra sans peine la permission de faire entrer l’ouvrage.

Dites-moi un peu, je vous prie, si vous le savez, ce que c’est qu’une histoire qu’on fait courir d’une lettre des Corses à Jean-Jacques[2], pour le

  1. Mémoires de Grammont, chap. iii.
  2. Buttafuoco, gentilhomme corse et capitaine au service de France, avait, d’accord avec Paoli, chef des insurgés contre les Génois, écrit à J.-J. Rousseau pour lui demander un plan de législation pour leur pays. Rousseau écrivit à Buttafuoco quatre lettres (22 septembre et 15 octobre 1764, 24 mars et 20 mai 1765), qui sont dans les Œuvres de J.-J. Rousseau, mais qui ont été placées hors de sa correspondance.