Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/486

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Une dame dont la générosité égale la haute naissance[1], qui était alors à Genève pour faire inoculer ses filles, fut la première qui secourut cette famille infortunée. Des Français retirés en ce pays la secondèrent ; des Anglais qui voyageaient se signalèrent ; et, comme le dit M. de Beaumont, il y eut un combat de générosité entre ces deux nations, à qui secourrait le mieux la vertu si cruellement opprimée.

Le reste, qui le sait mieux que vous ? qui a servi l’innocence avec un zèle plus constant et plus intrépide ? combien n’avez-vous pas encouragé la voix des orateurs, qui a été entendue de toute la France et de l’Europe attentive ? Nous avons vu renouveler les temps où Cicéron justifiait, devant une assemblée de législateurs, Amerinus accusé de parricide[2]. Quelques personnes, qu’on appelle dévotes, se sont élevées contre les Calas ; mais, pour la première fois depuis l’établissement du fanatisme, la voix des sages les a fait taire.

La raison remporte donc de grandes victoires parmi nous ! Mais croiriez-vous, mon cher ami, que la famille des Calas, si bien secourue, si bien vengée, n’était pas la seule alors que la religion accusât d’un parricide, n’était pas la seule immolée aux fureurs du préjugé ? Il y en a une plus malheureuse encore, parce qu’éprouvant les mêmes horreurs elle n’a pas eu les mêmes consolations ; elle n’a point trouvé des Mariette, des Beaumont[3], et des Loiseau.

Il semble qu’il y ait dans le Languedoc une furie infernale amenée autrefois par les inquisiteurs à la suite de Simon de Montfort[4], et que depuis ce temps elle secoue quelquefois son flambeau.

Un feudiste de Castres, nommé Sirven, avait trois filles. Comme la religion de cette famille est la prétendue réformée, on enlève, entre les bras de sa femme, la plus jeune de leurs filles. On la met dans un couvent, on la fouette pour lui mieux apprendre son catéchisme ; elle devient folle : elle va se jeter dans un puits, à une lieue de la maison de son père. Aussitôt les zélés ne doutent pas que le père, la mère, et les sœurs, n’aient noyé cette enfant.

  1. Mme  la duchesse d’Enville. (K.)
  2. Voyez l’oraison de Cicéron pour Sextius Roscius d’Ameria.
  3. Nous devons dire, à l’honneur de l’humanité, que M. de Beaumont se dispose à défendre l’innocence des Sirven, comme il a fait celle des Calas. Je le marquais à M. de Voltaire en même temps qu’il m’écrivait cette lettre. (Note de Damilaville).
  4. Voyez tome XI, page 495.