Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/55

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liaison avec des gens qu’on a pris fort en haine, je ne sais pas pourquoi, à quatre lieues d’ici[1] ; en un mot, avec les philosophes, qui font aujourd’hui également peur aux dévots et à ceux qui ne le sont pas. L’affaire de Marmontel était comme celle des jésuites ; il y avait une raison apparente qu’on mettait en avant, et une raison vraie que l’on cachait. Heureusement pour la philosophie tous les gens faits pour la craindre n’ont pas pensé de même. M. le prince Louis de Rohan, tout coadjuteur qu’il est de l’évêché de Strasbourg, a bien voulu en cette occasion être le coadjuteur de la philosophie, et lui a rendu, sans manquer à son état, tous les services imaginables : c’est par lui que vous avez aujourd’hui dans l’Académie française un partisan et un admirateur de plus. M. le prince Louis mérite en vérité la reconnaissance de tous les gens de lettres par la manière dont il sait les défendre et les servir dans l’occasion ; et quand vous l’auriez préféré à moi, connue vous avez fait d’autres, pour lui envoyer l’ouvrage de votre ami sur la Tolérance bien loin de vous en faire des reproches, je vous en ferais des remerciements. Il faut, mon cher maître, que chacun de nous serve la bonne cause suivant ses petits moyens. Vous la servez de votre plume, et moi, à qui on n’en laisserait pas une sur le dos si j’en faisais autant, je tâche de lui gagner des partisans dans le pays ennemi ; et ces partisans ne seront point compromis, parce qu’ils ne doivent jamais l’être ; mais ils recevront de moi, de tous mes amis, et ils devraient recevoir de vous, le tribut de reconnaissance que tous les êtres pensants leur doivent. À propos de la bonne cause, je vous apprendrai encore qu’on m’a fait d’indignes et odieuses tracasseries au sujet de mon voyage de Prusse ; on m’a prêté des discours que je n’ai jamais tenus, et que je n’aurais rien gagné à tenir. J’en ai appelé au témoignage du roi de Prusse lui-même, et ce prince vient de m’écrire une lettre qui confondrait mes ennemis s’ils méritaient que je la leur fasse lire. Vous savez apparemment qu’il y a actuellement à Berlin un fort honnête circoncis qui, en attendant le paradis de Mahomet, est venu voir votre ancien disciple de la part du sultan. Moustapha. J’écrivais l’autre jour en ce pays-là que, si le roi voulait seulement dire un mot, ce serait une belle occasion pour engager le sulfan à faire rebâtir le temple de Jérusalem. Cela nous vaudrait vraisemblablement une nouvelle instruction pastorale de Jean-George, où il nous prouverait que, quoique le temple fut rebâti à chaux et à ciment, le Christ n’en aurait pas moins dit la vérité. Que pensez-vous de ce projet ? il me semble que l’exécution en serait très-divertissante. Je m’étonne que vos bons amis les Turcs n’y aient pas encore pensé : cela prouve le grand cas qu’il font de nos prophéties. Adieu, mon cher et illustre maitre ; aimez-moi, je vous prie, toujours. Il me semble que vous me négligez un peu ; vous m’écrivez de petits billets, et vous ne m’envoyez presque rien. Je crains bien que celle-ci ne vous dégoûte d’en écrire de longues. Adieu, je vous embrasse mille fois.

P. S. Je ne parle point de tout ce qui se passe ici au sujet des déclarations, des édits, des impôts. Je laisse messieurs du parlement se mêler de

  1. Versailles.