Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien hasarder, il a craint d’être mis en fourrière, et assurément la voiture y aurait perdu beaucoup ; mais aussi pourquoi MM. Cramer n’ont-ils pas attendu huit jours ? Puisque vous dites que l’ouvrage du saint prêtre sur la Tolérance a été toléré des ministres et des personnes plus que ministres, un petit mot dit de leur part à Hippolyte Bourgelat, qui ne se pique pas d’être plus intolérant qu’un ministre, aurait levé toute difficulté, et le ballot serait présentement à Paris, au lieu qu’il est peut-être actuellement entre les mains du roi de Maroc, qui aimerait mieux un traité de la tolérance des corsaires que de celle des religions, et qui peut-être fera donner quelques centaines de coups de bâton de plus aux esclaves chrétiens, pour apprendre à nos prêtres à vivre. S’il y a quelque pauvre Mathurin ou père de la Merci dans les prisons de Méquinez, vous m’avouerez qu’il se passerait bien de cette aubaine, que MM. Cramer lui auront value.

Je vous envoie de mémoire (car je n’en ai point gardé de copie) mon petit commerce avec Jean-George#1 ; vous verrez qu’il n’est pas long. Jean-George n’a pas répondu à la réplique, qui en effet était un peu embarrassante pour un sot et pour un fripon à qui on prouve géométriquement qu’il n’est pas autre chose. Sa réponse sera apparemment pour la prochaine instruction pastorale. Vous m’accusez d’enfouir mes talents, parce que je n’ai pas donné les étrivières, comme je le pouvais, à ce fanatique Aaron ; prenez-vous-en[1]

  1. lettre de m. d’alembert à m. l’évêque du puy.

    Monseigneur, on vient de m’apporter de votre part un ouvrage où je suis personnellement insulté. Je ne puis croire que votre intention ait été de me faire un pareil présent : c’est sans doute une méprise de votre libraire, à qui je viens de le renvoyer. J’ai l’honneur d’être, etc.

    réponse l’évêque.

    Ce n’est point par mon ordre, monsieur, que mon Instruction pastorale vous a été envoyée. Je vous le déclare volontiers ; et je suis fâché de cette méprise, puisqu’elle vous a déplu. Je le suis aussi de ce que vous vous regardez comme personnellement insulté dans un ouvrage où vous ne l’êtes pas. J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments les plus sincères, etc.

    réplique.

    Vous m’avez mis expressément, monseigneur, dans votre Instruction pastorale, au nombre des ennemis de la religion, que je n’ai pourtant jamais attaquée, même dans les passages que vous citez de mes écrits. J’avais cru qu’une imputation si publique et si injuste, faite par un évêque, était une insulte personnelle, sans parler des qualifications peu obligeantes que vous y avez jointes, et qui à la vérité n’y ajoutent rien de plus. Quoi qu’il en soit, je vois par votre lettre combien votre libraire a été peu attentif à vos ordres, puisqu’il m’a expressément écrit que vous l’aviez chargé d’envoyer votre mandement à tous les membres de l’Académie française. Vous voyez bien, monseigneur, qu’il était nécessaire de vous avertir de cette petite méprise, dont je ne suis d’ailleurs nullement blessé, non plus que de l’insulte. J’espère qu’au moins en cela vous ne me trouverez pas mauvais chrétien. C’est dans ces dispositions que j’ai l’honneur d’être, monseigneur, votre, etc.