Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dessus, et vous en ferez peut-être sortir encore quelques étincelles. Si j’avais autant de génie que j’ai de reconnaissance de vos bontés, je ressemblerais à l’auteur d’Armide[1] ou à celui de Castor et Pollux[2].

J’ai l’honueur d’être avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, etc.


6147. — À M. DAMILAVILLE.
4 novembre.

Mon cher frère, je ne suis pas étonné que les petits-maîtres de Paris choquent un peu le bon sens d’un philosophe tel que vous. Vous n’aviez pas besoin de Ferney pour détester les faux airs, la légèreté, la vanité, le mauvais goût. Votre Platon est sans doute revenu avec vous, et vous vous consolerez ensemble de l’importunité des gens frivoles. Le petit nombre des élus sera toujours celui des penseurs.

Je suis trop vieux, et je ne me porte pas assez bien pour aller faire un tour chez les Shavanais ; mais je les respecte et je les aime. Je connaissais déjà la belle harangue de ce peuple vraiment policé aux Anglais de la Nouvelle-Angleterre, qui se disent policés. J’ai déjà même écrit[3] quelque chose à ce sujet qui m’a paru en valoir la peine. Les vrais sauvages sont les ennemis des beaux-arts et de la philosophie ; les vrais sauvages sont ceux qui veulent établir deux puissances ; les vrais sauvages sont les calomniateurs des gens de lettres. La calomnie mérite bien le nom d’infâme que nous lui avons donné.

Avouez que vous l’avez trouvée bien infâme quand vous avez été témoin de ma vie philosophique et retirée, quand vous avez vu mon église, que je tiens pour aussi jolie, aussi bien recrépie, et aussi bien desservie que celle de Pompignan. Son frère, l’évêque du Puy, m’appelle impie, et voudrait me faire brûler, parce que j’ai trouvé les psaumes de Pompignan mauvais ; cela n’est pas juste, mais la vertu sera toujours persécutée.

Je crois que vous allez donner une nouvelle chaleur à la souscription en faveur des Calas. Les belles actions sont votre véritable emploi. Celui que la fortune vous a donné n’était pas fait pour votre belle âme.

  1. Quinault.
  2. Bernard.
  3. Dans le chapitre vii de la Philosophie de l’Histoire ; voyez tome XI, page 19.