Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/166

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va-t-il devenir ? Il avait le secours de la religion, il pouvait se sauver dans les bras de l’espérance, et attendre de la Providence, qui avait permis ce concours de malheurs pour éprouver sa constance, de l’en dédommager par le bonheur à venir. Point du tout. M.  l’abbé Bazin lui ravit cette ressource, et lui ordonne d’aller se noyer, car il n’a pas d’autre chose à faire. Que lui ont fait ce mari trahi par sa femme, cette fille devenue libertine, ces valets devenus voleurs ? Rien ne les arrête plus ; la religion est détruite ; elle seule tenait bon contre les passions, elle seule avait droit d’aller jusqu’à leur cœur, où les lois ne peuvent atteindre ; c’est fait de tous les devoirs de la société, de l’harmonie de l’univers : M.  Bazin n’y laisse que des brigands. Ah ! du moins la religion des païens avait-elle des ressources ! Pandore nous avait laissé une boîte au fond de laquelle était l’espérance ; elle était cachée sous tous les maux, comme si elle était réservée pour en être la réparation ; et nous autres, plus barbares mille fois, nous anéantissons tout ; nous n’avons conservé que les malheurs ; nous détruisons toute spiritualité ; l’univers n’est plus qu’une matière insensible formée par le hasard ; rien ne nous parle, tout est sourd, nous ne sommes plus environnés que de débris ! … Ah ! quel triste spectacle ! c’est la Méduse des poètes qui change tout en rocher. Je me sauve de cette horreur dans la Henriade, dans Brutus, etc. Adieu, mon cher confrère ; Dieu vous fasse la grâce de couronner tous les dons dont il vous a comblé par une véritable gloire qui n’aura point de fin ! Pardonnez-moi d’être raisonnable et recevez ce dernier gage de mon amitié. Avouez que j’ai bien de l’obligation à Mme  du Deffant ; sans elle vous m’auriez tout à fait oublié : c’est elle dont l’amitié entretient une certaine habitude à laquelle vous n’oserez vous refuser, tandis qu’elle et moi ne cessons de vous publier, et qu’elle n’a de mérite au-dessus de moi que celui de vous faire plus d’honneur.


6205. — À M.  BEAUMONT-JACOB[1].
À Ferney, 31 décembre.

M. de La Borde, banquier du roi, me mande du 25, monsieur, que les trente-six billets ne lui ont pas été remis par MM. Necker et Thélusson, suivant vos ordres et suivant la prière que je leur en avais faite. Je suppose que cette affaire est actuellement consommée. En tout cas, je vous prie de les en faire souvenir par cet ordinaire.

M. Jean Maire, trésorier de Montbéliard et terres adjacentes, est prêt à donner un demi pour cent par mois, tous les trois mois, pour l’argent que vous avancerez, vous ou un autre banquier à Genève, le change toujours au pair, sans aucun autre frais. Mandez-moi votre derniére résolution. Il n’y aura rien d’ail-

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.