Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/220

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les Athéniens, de n’avoir pas détourné, pour la guerre du Péloponèse, l’argent destiné pour le théâtre ; mais c’est que ce trésor était consacré aux dieux. On craignait de commettre un sacrilège, et il fallut toute l’élouence de Démosthène (dans sa seconde Olynthienne) pour éluder une loi qui tenait de si près à la religion. Puisque le théâtre tragique était saint chez les Grecs, on voit bien que la profession d’acteur était honorable. Les auteurs étaient acteurs quand ils en avaient le talent. Eschine, magistrat d’Athènes, fut auteur et acteur ; Paulus, acteur, fut envoyé en ambassade.

Ce spectacle était si religieux que, dans la première guerre punique, les Romains l’établirent pour conjurer les dieux de faire cesser le fléau de la contagion. Jamais il n’y eut à Rome de théâtre qui ne fût consacré aux dieux, et qui ne fût rempli de leurs simulacres.

Il est très-faux que la profession d’acteur fut eusuite abandonnée aux seuls esclaves. Il arriva que les Romains, ayant subjugué tant de nations, employèrent les talents de leurs esclaves. Il n’y eut guère chez eux de mathématiciens, de médecins, d’astronomes, de sculpteurs, et de peintres, que des Grecs ou des Africains pris à la guerre. Térence, Épictète, furent esclaves. Mais de ce que les peuples conquis exerçaient leurs talents à Rome, on ne doit pas conclure que les citoyens romains ne pussent signaler les leurs.

Je ne puis comprendre comment M. Huerne a pu dire que « Roscius n’était pas citoyen romain ; que Cicéron, son orateur adverse, employa contre lui les lois de la république, sa naissance, et la vénalité des spectacles, et que Roscius n’eut rien de solide à lui opposer[1] ». Comment peut-on dire tant de sottises, en si peu de paroles, dans l’ordre des lois, dans l’ordre de la société, et dans l’ordre de la religion, par le secours d’une littérature agréable et intéressante ? Ce pauvre homme a trop nui à la cause qu’il voulait défendre. Comment a-t-il pu ignorer que Cicéron plaida pour Roscius, au lieu d’être son avocat adverse ? qu’il ne s’agissait point du tout de citoyen romain, mais d’argent ? Cicéron dit que Roscius fut toujours très-libéral et très-généreux ; qu’il avait pu gagner trois millions de sesterces, et qu’il ne l’avait pas voulu. Est-ce là un esclave ? Roscius était un citoyen qui formait une académie d’acteurs. Plusieurs chevaliers romains exercèrent

  1. Page 81 du Mémoire en forme de dissertation, etc, dont il est parlé dans une note, tome XXIV, page 239.