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Je ne ferai rien assurément sans avoir vos instructions, que vous pourrez me faire parvenir en toute sûreté par la voie dont vous vous êtes déjà servi.

On crie contre les philosophes, on a raison : car si l’opinion est la reine du monde, les philosophes gouvernent cette reine. Vous ne sauriez croire combien leur empire s’étend. Votre Destruction a fait beaucoup de bien. Bonsoir ; je suis las d’écrire ; je ne le serai jamais de vous lire et de vous aimer.


6061. — À M.  LE MARQUIS DE VILLETTE.
8 juillet.

Le vieux malade de Ferney présente ses très-tendres respects au jeune malingre de l’hôtel d’Elbeuf.

Je vois que vous vous regardez comme un homme dévoué à la médecine, et que vous passez votre temps entre les ragoûts et les drogues. Cela rend mélancolique, mais cela fait aussi un grand bien, car on en aime mieux son chez soi, on réfléchit davantage, on se confirme dans sa philosophie, on fait moins de cas du monde ; et dès qu’on a un rayon de santé, on court au plaisir. Une telle vie ne laisse pas d’avoir son mérite ; les malingres ont de très-beaux moments.

Permettez-moi encore, monsieur, d’abuser de votre bonté, et de vous recommander cette lettre pour M. d’Alembert[1]. Il faut que l’air de Ferney ne soit pas bon pour les tragédies. L’auteur de Warwick n’a pas encore fait une pauvre petite scène. Je serai bien honteux s’il sort de chez moi sans avoir travaillé. Si la pièce était prête, nous la jouerions.

Je crois vous avoir dit que Mme  Denis m’ayant demandé une grande salle pour repasser son linge, je lui avais donné celle du théâtre ; mais, après y avoir pensé mûrement, elle a conclu qu’il vaut mieux être en linge sale, et jouer la comédie. Elle a rebâti le théâtre, et demain on joue Alzire, en attendant Warwick, et en attendant aussi Mlle  Clairon, qui peut-être ne viendra pas.

Vous me parlez avec bien de l’enjouement de mon Orphelin. J’aurais voulu la scène dans la maison de Confucius ; j’aurais voulu Zamti plus Chinois, et Gengis plus Tartare. Heureusement mon grand acte a raccommodé tout cela.

Puissiez-vous, monsieur, visiter bientôt vos terres de Bour-

  1. C’est la lettre qui précède.