Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/32

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gogne ! Nous vous donnerons la comédie, et vous ne serez pas mécontent de la comédie. Je suis si vieux que je ne peux plus jouer les vieillards ; c’est grand dommage, car je vous avoue modestement que je jouais Lusignan beaucoup mieux que Sarrazin.

Lorsque vous ferez votre tournée, mandez-nous quels rôles vous voulez. Vous devez être un excellent acteur, si vous êtes sur le théâtre comme à souper ; et je vous soupçonne de vous tirer à merveille de tout ce que vous voudrez faire.

J’ai une plaisante grâce à vous demander. Je remarquai, lorsque vous me faisiez l’honneur d’être dans mon taudis, que vous ne soumettiez jamais votre visage à la savonnette et au rasoir d’un valet de chambre qui vient vous pincer le nez et vous échauder le menton. Vous vous serviez de petites pincettes fort commodes, assez larges, ornées d’un petit ciseau qui embrasse la racine du poil sans mordre la peau. J’en use comme vous, quoiqu’il y ait une prodigieuse différence entre votre visage et le mien. Mais il faut que cet art soit bien peu en vogue, puisque je n’ai pu trouver à Genève ni à Lyon une seule pince supportable ; il n’y en a pas plus que de bons livres nouveaux. Je vous demande en grâce de vouloir bien ordonner à un de vos gens de m’acheter une demi-douzaine de pinces semblables aux vôtres. Il n’y aurait qu’à les envoyer à M. Tabareau, en le priant de me les faire parvenir à Genève.

Il est vrai que voilà une commission très-ridicule. J’aimerais bien mieux pincer tous les mauvais poëtes, les calomniateurs, les envieux, que de me pincer les joues. Mais enfin j’en suis réduit là. Je suis comme les habitants de nos colonies, qui ne savent plus comment faire quand ils attendent de l’Europe des aiguilles et des peignes. Enfin les petits présents entretiennent l’amitié, et je vous serai très-obligé de cette bonté.

Conservez-moi une amitié que je mérite par mes très-tendres sentiments pour vous.


6062. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
10 juillet.

Je dépêche à mes anges le dernier mot du petit prêtre tragique ; il vient de m’apporter ses roués, les voilà. Vous ne sauriez croire à quel point ce petit provincial vous respecte et vous aime. « Je sens bien, m’a-t-il dit, que mon œuvre dramatique n’est pas digne de vos anges ; le sujet ne comporte pas ces grands