indigne de ce siècle ? Vous en êtes bien capable. Je vous en révérerai et aimerai bien davantage. Vous auriez fait encore plus si vous aviez lu la relation véritable que M. Damilaville doit vous communiquer. Que vous avez bien raison de faire voir que notre jurisprudence criminelle est encore bien barbare ! Ne vous découragez point, mon cher Cicéron, de tout ce que vous voyez ; donnez, au nom de Dieu, votre mémoire pour les Sirven, dussiez-vous ne point obtenir d’attribution déjuges. Je vous répète que ce mémoire sera votre chef-d’œuvre, qu’il mettra le comble à votre réputation ; et quant aux Sirven, ils seront toujours assez justifiés dans l’Europe.
Soyez toujours le défenseur de l’innocence et de la raison ; rendez les hommes meilleurs et plus éclairés : c’est votre vocation. Soyez surtout heureux vous-même avec votre digne épouse. Mon cœur est à vous, et mon esprit est le client du vôtre.
Vous allez être bien étonné : vous allez frémir, mon cher frère, quand vous lirez la Relation[1] que je vous envoie. Qui croirait que la condamnation de cinq jeunes gens de famille[2] à la plus horrible mort pût être le fruit de l’amour et de la jalousie d’un vieux scélérat d’élu[3] d’Abbeville ? La première idée qui vient est que cet élu est un grand réprouvé ; mais il n’y a pas moyen de rire dans une circonstance si funeste. Ne saviez-vous pas que plusieurs avocats ont donné une consultation[4] qui démontre l’absurdité de cet affreux arrêt ? Ne l’aurai-je point, cette consultation ?
On dit que le premier président leur en a voulu faire des reproches, et qu’ils lui ont répondu avec la noblesse et la fermeté dignes de leur profession. C’est une chose abominable que la mort des hommes, et que les plus terribles supplices dépendent de cinq radoteurs qui l’emportent, par la majorité des voix, sur les dix conseillers du parlement les plus éclairés et les plus équitables. Je suis persuadé que si Sa Majesté eût été informée du