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ANNÉE 1766.

homme qui a consumé ses plus belles années à bien mériter de son pays ; n’est-ce pas assez qu’ils aient laissé à d’autres le soin de l’honorer, de le récompenser, de l’encourager ? S’ils ne m’ont pas fait de bien, ils n’oseront me faire du mal. » C’est ainsi qu’on est alternativement dupe de sa modestie et de son orgueil. Qui que vous soyez qui m’avez écrit la lettre pleine d’intérêt et d’estime que notre ami commun m’a remise, je sens toute la reconnaissance que je vous dois, et je jette d’ici mes bras autour de votre cou. Je n’accepte ni ne refuse vos offres. Plusieurs honnêtes gens, effrayés du train que prennent les choses, sont tentés de suivre le conseil que vous me donnez. Qu’ils partent, et quel que soit l’asile qu’ils auront choisi, fût-ce au bout du monde, j’irai. Notre ami m’a fait lire un ouvrage nouveau[1]. Je tremble pour le moment où cet ouvrage sera connu. C’est un homme qui a pris la torche de vos mains, qui est entré fièrement dans leur édifice de paille, et qui a mis le feu de tous côtés. Ils voudront faire un exemple, et, dans leur fureur, ils se jetteront sur le premier venu. Si cet ouvrage vous est connu, et que vous puissiez en différer la publicité jusqu’à des circonstances plus favorables, vous ferez bien. Je vais déposer votre lettre, afin qu’à tout événement vous puissiez joindre à ma justification que je vous recommande le témoignage des précautions que vous aviez prises pour leur épargner un crime nouveau. Si j’avais le sort de Socrate, songez que ce n’est pas assez de mourir comme lui pour mériter de lui être comparé.

Illustre et tendre ami de l’humanité, je vous salue et vous embrasse. Il n’y a point d’homme un peu généreux qui ne pardonnât au fanatisme d’abréger ses années, si elles pouvaient s’ajouter aux vôtres. Si nous ne concourons pas avec vous à écraser la bête, c’est que nous sommes sous sa griffe, et si, connaissant toute sa férocité, nous balançons à nous en éloigner, c’est par des considérations dont le prestige est d’autant plus fort qu’on a l’âme plus honnête et plus sensible. Nos entours sont si doux, et c’est une perte si difficile à réparer !


6442. — À M.  DAMILAVILLE.
1er auguste.

Nous vous remercions sensiblement, monsieur, des trois pièces que vous avez bien voulu nous envoyer, touchant le vingtième de Bresse et Bugey. La douleur de la mort de M.  de Balarre[2], causée par de mauvais médecins qui n’ont pu s’accorder entre eux, a saisi votre ami de la plus vive douleur. Il est certain qu’on n’a point connu la maladie de ce pauvre enfant. Les

  1. Sans doute l’Examen important de milord Bolingbroke. qui ne fut imprimé qu’en avril 1767, selon Beuchot, mais dont Damilaville avait peut-être reçu une copie.
  2. Le chevalier de La Barre.