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ANNÉE 1766.

Fonlenelle : « Si j’avais la main pleine de vérités, je penserais plus d’une fois avant de l’ouvrir. »

Le vulgaire ne mérite pas d’étre éclairé ; et si votre parlement a sévi contre ce malheureux jeune homme qui a frappé le signe que les chrétiens révèrent comme le symhole de leur salut, accusez-en les lois du royaume[1]. C’est selon ces lois que tout magistrat fait serment de juger ; il ne peut prononcer la sentence que selon ce qu’elles contiennent ; et il n’y a de ressource pour l’accusé qu’en prouvant qu’il n’est pas dans le cas de la loi.

Si vous me demandiez si j’aurais prononcé un arrêt aussi dur, je vous dirais que non, et que, selon mes lumières naturelles, j’aurais proportionné la punition au délit. Vous avez brisé une statue, je vous condamne à la rétablir : vous navez pas ôté le chapeau devant le curé de la paroisse qui portait ce que vous savez, eh bien ! je vous condamne à vous présenter quinze jours consécutifs sans chapeau à l’église : vous avez lu les ouvrages de Voltaire ; oh çà ! monsieur le jeune homme, il est bon de vous former le jugement ; pour cet effet, on vous enjoint d’étudier la Somme de saint Thomas et le guide-âne de monsieur le curé. L’étourdi aurait peut-être été puni plus sévèrement de cette manière qu’il ne l’a été par les juges : car l’ennui est un siècle, et la mort un moment[2].

Que le ciel ou la destinée écarte cette mort de votre tête, et que vous éclairiez doucement et paisiblement ce siècle que vous illustrez ! Si vous venez à Clèves, j’aurai encore le plaisir de vous revoir, et de vous assurer de l’admiration que votre génie m’a toujours inspirée. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.


Fédéric.

6451. — À M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY.
Ferney, 8 auguste.

Votre vigne et votre laurier[3] sont très-ingénieux, mon cher président. Votre académie devient de jour en jour plus brillante ; il faut espérer que ces établissements feront beaucoup de bien aux provinces ; ils accoutumeront les hommes à penser, et à sacrifier les préjugés aux vérités. Les jeux floraux n’ont guère contribué qu’à perpétuer dans Toulouse le mauvais goût ; mais des

  1. Il n’existait aucune loi en France d’après laquelle on pût condamner le chevalier de La Barre ; et ce qui le prouve, c’est que depuis vingt ans aucun des membres du tribunal que cet arrêt a couvert d’opprobre n’a osé la citer ; mais il est vrai qu’ils en ont supposé l’existence : ce qui prouve ou une ignorance honteuse de la législation, ou un fanatisme porté jusqu’à la démence. (K.) — Voyez tome XXI, page 520.
  2. Gresset, dans son Épitre à ma sœur, vers 92, a dit :

    La douleur est un siècle, et la mort un moment.

  3. Il s’agissait du dessin qui encadrait les diplômes de l’Académie de Dijon.