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ANNÉE 1766.

Il doit vous être parvenu un petit paquet sous l’enveloppe de M. de Courteilles. Il contient un Commentaire[1] du livre italien des Délits et des Peines. Ce commentaire est fait par un avocat de Besançon, ami intime comme moi de l’humanité. J’ai fourni peu de chose à cet ouvrage, presque rien ; l’auteur l’avoue hautement, et en fait gloire, et se soucie d’ailleurs fort peu qu’il soit bien ou mal reçu à Paris, pourvu qu’il réussisse parmi ses confrères de Franche-Comté, qui commencent à penser. Les provinces se forment ; et si l’infâme obstination du parlement visigoth de Toulouse contre les Calas fait encore subsister le fanatisme en Languedoc, l’humanité et la philosophie gagnent ailleurs beaucoup de terrain.

Je ne sais si je me trompe, mais l’affaire des Sirven me paraît très-importante. Ce second exemple d’horreur doit achever de décréditer la superstition. Il faut bien que tôt ou tard les hommes ouvrent les yeux. Je sais que les sages qui ont pris leur parti n’apprendront rien de nouveau ; mais les jeunes gens, flottants et indécis, apprennent tous les jours, et je vous assure que la moisson est grande d’un bout de l’Europe à l’autre. Pour moi, je suis trop vieux et trop malade pour me mêler d’écrire ; je reste chez moi tranquille. C’est en vain que des bruits vagues et sans fondement m’imputent le Dictionnaire philosophique, livre, après tout, qui n’enseigne que la vertu. On ne pourra jamais me convaincre d’y avoir part. Je serai toujours en droit de désavouer tous les ouvrages qu’on m’attribue ; et ceux que j’ai faits sont d’un bon citoyen. J’ai soutenu le théâtre de France pendant plus de quarante années ; j’ai fait le seul poëme épique tolérable qu’on ait dans la nation. L’histoire du Siècle de Louis XIV n’est pas d’un mauvais compatriote. Si on veut me pendre pour cela, j’avertis messieurs qu’ils n’y réussiront pas, et que je vivrai toujours, en dépit d’eux, plus agréablement qu’eux. Mais, pour persécuter un homme légalement, il faut du moins quelques preuves commencées, et je défie qu’on ait contre moi la preuve la plus légère. Je m’oublie moi-même à présent pour ne songer qu’aux Sirven ; le plaisir de les servir me console. Je n’étais point instruit de la manière dont il fallait s’y prendre pour demander un rapporteur ; je croyais qu’on le nommait dans le conseil du roi ; c’est la faute de M. de Beaumont de ne m’avoir pas instruit. J’écris à Mme  la duchesse d’Enville[2], qui est actuellement à Liancourt,

  1. Voyez tome XXV, page 539.
  2. Cette lettre manque.