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6079. — À M. D’ALEMBERT.
À Ferney, 5 auguste, car je ne puis souffrir août.

Mon cher philosophe, si la cause que je soupçonnais n’est pas la véritable, il y a donc des effets sans cause ; la raison suffisante de Leibnitz est donc à tous les diables : car tout ce qu’on peut alléguer pour colorer l’injustice qu’on vous fait est parfaitement absurde. Mlle Clairon, dans son genre, se trouve à peu près maltraitée comme vous ; elle a essuyé assurément des choses plus désagréables ; je lui conseille ce que probablement elle fera, et ce que vous lui avez conseillé. Pour vous, mon cher et grand philosophe, je n’ai point d’avis à vous donner : vous n’en prendrez que de votre fermeté et de votre sagesse. Je n’ai rien à dire à M. le duc de Choiseul, je lui ai tout dit ; et puisque vous ne le croyez pas l’auteur de cette injustice, mon rôle est terminé. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a un déchaînement aussi violent que ridicule à la cour contre les philosophes ; et, pour compléter cette extravagance, c’est le beau Siège de Calais qui a fait pousser à l’excès ce déchaînement. J’ignore si vous quitterez cette nation de singes, et si vous irez chez des ours[1] ; mais si vous allez en Oursie, passez par chez nous. Ma poitrine commence un peu à s’engager. Il serait fort plaisant que je mourusse entre vos bras, en faisant ma profession de foi.

Mais pourquoi ne viendriez-vous pas à Ferney attendre philosophiquement la fin des orages ? Vous me direz peut-être qu’on viendrait nous y brûler tous deux : je ne le crois pas, nous ne sommes qu’au temps des Fréron et des Pompignan, et non à celui des Dubourg et des Servet ; d’ailleurs nous sommes tous deux bons chrétiens, bons sujets, bons diables ; on nous laissera en paix dans ma tanière. Écrivez-moi par frère Damilaville. Adieu ; je vous aime autant que je vous estime.


6080. — À M. LE MARQUIS DE VILLETTE.
5 auguste (car je n’aime pas mieux août que cul-de-sac
cela est trop welche).

Les inflammations de poitrine, monsieur, nuisent beaucoup au commerce des lettres. J’en ai eu une dont les restes ne sont

  1. Lorsque Voltaire publia son Histoire de Russie sous Pierre le Grand, le roi de Prusse lui reprocha d’avoir écrit l’histoire des ours ; voyez sa lettre du 31 octobre 1760, tome XLI, page 43.