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6761. — À M. COLINI.
Ferney, 20 février.

Êtes-vous actuellement à Paris, mon cher ami ? Je vous écris à l’adresse que vous m’avez donnée. J’ignore l’objet de vos voyages ; mais, quel qu’il soit, je vous en félicite, puisque vous ne les avez entrepris sans doute que pour le service de votre aimable souverain. Le rude hiver que nous avons essuyé a achevé de ruiner mon faible tempérament ; j’éprouve tous les maux de la décrépitude ; consolez-moi par le récit de vos plaisirs, et par les assurances de votre amitié.

Les tracasseries de Genève ont fait un peu de tort au petit pays que j’habite ; elles ne nous ôteront pas le bel aspect dont nous commençons à jouir. Si notre climat est cruel l’hiver, il est charmant dans les autres saisons. La jouissance de la campagne et de la liberté est le plaisir de la vieillesse. L’idée d’être toujours aimé de vous redouble ce plaisir et adoucit tous mes maux.

6762. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 20 février.

Je suis bien aise que ce livre qu’on a eu tant de peine à trouver ici vous soit parvenu, puisque vous le souhaitiez. Ce pauvre abbé Fleury, qui en est l’auteur, a eu le chagrin de l’avoir vu mettre à l’index à la cour de Rome[1]. Il faut avouer que l’histoire de l’Église est plutôt un sujet de scandale que d’édification.

L’auteur[2] de la préface a raison, en ce qu’il soutient que l’ouvrage des hommes se décèle dans toute la conduite des prêtres qui altèrent cette religion (sainte en elle-même[3]) de concile en concile, la surchargent d’article de foi, et puis la tournent toute en pratiques extérieures, et finissent enfin par saper les mœurs avec leurs indulgences et leurs dispenses, qui ne semblent inventées que pour soulager les hommes du poids de la vertu ; comme si la vertu n’était pas d’une nécessité absolue pour toute société, comme si quelque religion pouvait être tolérée sitôt qu’elle devient contraire aux bonnes mœurs.

Il y aurait de quoi composer des volumes sur cette matière ; et les petits ruisseaux que je pourrais fournir se perdraient dans les immenses réservoirs

  1. L’Abrégé de l’histoire ecclésiastique de Fleury, avec l’Avant-propos de Frédéric, fut brûlé à Berne peu de temps après sa publication ; mais il ne fut mis à l’index que le 1er mars 1770.
  2. Frédéric lui-même.
  3. « Simple en elle-même. » (Édit. de Berlin.)