Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/20

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J’ai été obligé de lui prêter mes chevaux pour retourner à Soleure. Les philosophes qui se destinent à l’émigration sont fort embarrassés, ils ne peuvent vendre aucun effet ; tout commerce est cessé, toutes les banques sont fermées. Cependant on écrira à M. le baron de Werder, conformément à la permission donné par Votre Majesté[1] ; mais je prévois que rien ne pourra s’arranger qu’après la fin de l’hiver.

J’attends avec la plus vive reconnaissance les douze belles préfaces[2], monument précieux d’une raison ferme et hardie, qui doit être la leçon des philosophes.

Vous avez grande raison, sire ; un prince courageux et sage, de l’argent, des troupes, des lois, peut très-bien gouverner les hommes sans le secours de la religion, qui n’est faite que pour les tromper ; mais le sot peuple s’en fera bientôt une, et tant qu’il y aura des fripons et des imbéciles, il y aura des religions. La nôtre est sans contredit la plus ridicule, la plus absurde, et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde.

Votre Majesté rendra un service éternel au genre humain en détruisant cette infâme superstition, je ne dis pas chez la canaille, qui n’est pas digne d’être éclairée, et à laquelle tous les jougs sont propres ; je dis chez les honnêtes gens, chez les hommes qui pensent, chez ceux qui veulent penser. Le nombre en est très-grand : c’est à vous de nourrir leur âme ; c’est à vous de donner du pain blanc aux enfants de la maison, et de laisser le pain noir aux chiens. Je ne m’afflige de toucher à la mort que par mon profond regret de ne vous pas seconder dans cette noble entreprise, la plus belle et la plus respectable qui puisse signaler l’esprit humain.

Alcide de l’Allemagne, soyez-en le Nestor : vivez trois âges d’homme pour écraser la tête de l’hydre.


6652. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET[3].
À Ferney, 5 janvier.

Cher doyen de l’Académie,
Vous vîtes de plus heureux temps ;

  1. Voyez lettre 6617.
  2. Il s’agit de douze exemplaires de l’Avant-propos mis par le roi au devant d’un Abrégé de l’Histoire ecclésiastique de Fleury, en deux volumes in-8o, Berne, 1767.
  3. Il venait de publier une nouvelle édition de son Traité de la Prosodie française, qui parut pour la première fois en 1736. Voltaire n’avait pas reçu encore