Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/21

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Des neuf Sœurs la troupe endormie
Laisse reposer les talents ;
Notre gloire est un peu flétrie.
Ramenez-nous, sur vos vieux ans,
Et le bon goût et le bon sens
Qu’eût jadis ma chère patrie.

Dites-moi si jamais vous vîtes, dans aucun bon auteur de ce grand siècle de Louis XIV, le mot de vis-à-vis#1 employé une seule fois pour signifier envers, avec, à l’égard. Y en a-t-il un seul qui ait dit ingrat vis-à-vis de moi, au lieu d’ingrat envers moi ; il se ménageait vis-à-vis ses rivaux, au lieu de dire avec ses rivaux ; il était fier vis-à-vis de ses supérieurs, pour fier avec ses supérieurs, etc ? Enfin ce mot de vis-à-vis, qui est très-rarement juste et jamais noble, inonde aujourd’hui nos livres, et la cour, et le barreau, et la société : car dès qu’une expression vicieuse s’introduit, la foule s’en empare.

Dites-moi si Racine a persiflé Boileau, si Bossuet a persiflé Pascal, et si l’un et l’autre ont mystifié La Fontaine, en abusant quelquefois de sa simplicité ? Avez-vous jamais dit que Cicéron écrivait au parfait ; que la coupe des tragédies de Racine était heureuse ? On va jusqu’à imprimer que les princes sont quelquefois mal éduqués. Il paraît que ceux qui parlent ainsi ont reçu eux-mêmes une fort mauvaise éducation. Quand Bossuet, Fénelon, Pellisson, voulaient exprimer qu’on suivait ses anciennes idées, ses projets, ses engagements, qu’on travaillait sur un plan proposé, qu’on remplissait ses promesses, qu’on reprenait une affaire, etc., ils ne disaient point : J’ai suivi mes errements, j’ai travaillé sur mes errements.

Errement a été substitué par les procureurs au mot erres, que le peuple emploie au lieu d’arrhes : arrhes signifie gage. Vous trouvez ce mot dans la tragi-comédie de Pierre Corneille, intitulée Don Sanche d’Aragon (acte V, scène vi) :

Ce présent donc renferme un tissu de cheveux
Que reçut don Fernand pour arrhes de mes vœux.

Le peuple de Paris a changé arrhes en erres : des erres au coche ; donnez-moi des erres. De là, errements ; et aujourd’hui je vois que, dans les discours les plus graves, le roi a suivi ses derniers errements vis-à-vis des rentiers. [1]

    la lettre de l’abbé, du 3 janvier, à laquelle il répondra le 4 février. Il semble même que cette lettre du 3 ne lui parvint pas avant le 18 (voyez ci-après la lettre 6683)

  1. Voyez la note 3, tome V, page 413.