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ANNÉE 1767

solant de se livrer à toutes les volontés de son père, dans l’impossibilité où elle croit être de jamais sortir de la Scythie, dans l’opiniâtreté de courage avec laquelle elle s’est fait une nouvelle patrie, elle a conclu ce mariage, qui semble devoir la rendre moins malheureuse, tout à coup elle revoit Athamare, elle, le revoit souverain, maître de sa main, et mettant sa couronne à ses pieds : alors son âme est déchirée ; et si tout cela n’est pas théâtral, neuf et touchant, j’avoue que je n’ai aucune connaissance du théâtre, ni du cœur humain.

Je vous répète que, si quelques-unes de vos belles dames de Paris ont trouvé qu’Obéide épousait trop légèrement Indatire, c’est qu’elles ont elles-mêmes jugé trop légèrement ; c’est qu’elles ont trop écouté les règles ordinaires du roman, qui veulent qu’une héroïne ne fasse jamais d’infidélité à ce qu’elle aime. Elles n’ont pas démêlé, dans le tapage des premières représentations, qu’Obéide devait détester Athamare, et ne jamais espérer d’être à lui puisqu’il était marié. Elles ont apparemment imaginé qu’Obéide devait savoir qu’Athamare était veuf : ce qu’elle ne peut certainement avoir deviné. Il faut laisser à ces très-mauvaises critiques le temps de s’évanouir, comme aux critiques de Mèrope, de Zaïre, de Tancrède, et de toutes les autres pièces qui sont restées au théâtre.

Je vois trop évidemment, et je sens avec trop de force, combien je gâterais tout mon ouvrage, pour que je puisse travailler sur un plan si contraire au mien. Je ne conçois pas, encore une fois, comment ce qui intéresse à la lecture pourrait ne point intéresser au théâtre. Je ne dis pas assurément qu’Obéide doive toujours pleurer ; au contraire, j’ai dit qu’elle devait avoir presque toujours une douleur concentrée ; douleur qui vaut bien les larmes, mais qui demande une actrice consommée. J’ai marqué les endroits où elle doit pleurer, et où Mme de La Harpe pleure. C’est à ces vers :

D’une pitié bien juste elle sera frappée,
En voyant de mes pleurs une lettre trempée, etc.

(Acte II, scène i.)

Laisse dans ces déserts ta fidèle Obéide.
Ah !… c’est pour mon malheur.

(Acte III, scèn : ii.)

Quel démon t‘a conduiAh ! fatal Athamare !
Quel démon t’a conduit dans ce séjour barbare ?
Que t’a fait Obéide ? etc.

(Acte IV, scène iv.)