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ANNÉE 1767

L’imbécile et ignorant libraire qui s’est chargé de votre seconde édition ne l’aura pas achevée sitôt. Je n’ai de lui aucune nouvelle ; toute communication est interrompue entre Genève et la France. On s’est imaginé assez ridiculement que je suis en France ; et je m’aperçois en effet que j’y suis, parce que je manque de tout. Je ne sais comment on fera pour faire passer dans votre monarchie française la Lettre au Conseiller. Il n’est plus permis de lire, et il n’y a que les auteurs du Journal chrétien et Fréron qui aient la liberté d’écrire.

Vous verrez par les deux petites pièces ci-jointes[1] qu’on ne rogne pas les ongles de si près dans les pays étrangers. L’exemple que donne l’impératrice de Russie est unique dans ce monde. Elle a envoyé quarante mille Russes prêcher la tolérance, la baïonnette au bout du fusil. Vous m’avouerez qu’il était bien plaisant que les évêques polonais accordassent des privilèges à trois cents synagogues, et ne voulussent plus souffrir l’Église grecque.

Bonsoir, mon cher philosophe ; souvenez-vous, je vous en prie, que je n’ai aucune part aux Anecdotes sur Bélisaire. On m’accuse de tout : voyez la malice !

6873. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, 4 mai.

Gens inimica mihi Tyrrhenum navigat æquor,
Hium in Italiam portans, victosque Penates.

(Virg., Æn., lib. I, v. 67.)

Voilà, mon cher et illustre philosophe, ce que disait l’autre jour des jésuites d’Espagne un abbé italien[2] qui, comme vous voyez, les aime tendrement, attendu qu’ils ont empêché son oncle d’être cardinal. Et vous, mon cher maître, que dites-vous de cette singulière aventure ? Ne pensez-vous pas que la société se précipite vers sa ruine ? ne pensez-vous pas qu’elle travaille depuis longtemps à mériter ce qui lui arrive aujourd’hui, et qu’elle recueille ce qu’elle a semé ? Mais croyez-vous tout ce qu’on dit à ce sujet ? croyez-vous à la lettre de M. d’Ossun, lue en plein conseil, et qui marque que les jésuites avaient formé le complot d’assassiner, le jeudi saint, bon jour, bonne œuvre, le roi d’Espagne et toute la famille royale ? Ne croyez-vous pas, comme moi, qu’ils sont bien assez méchants, mais non pas assez

  1. l’Anecdote sur Bélisaire (voyez tome XXVI, page 109) ; et la Seconde Anecdote sur Bélisaire (voyez tome XXVI, page 169.)
  2. Galiani.