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ANNÉE 1767

de Paméla et de Clarisse. Ils ont réussi, parce qu’ils ont excité la curiosité du lecteur, à travers un fatras d’inutilités ; mais si l’auteur avait été assez malavisé pour annoncer, dès le commencement, que Clarisse et Paméla aimaient leurs persécuteurs, tout était perdu, le lecteur aurait jeté le livre.

Serait-il possible que ces insulaires connussent mieux la nature que vos Welches ? Ne sentez-vous pas que ce qui est à sa place dans Alzire serait détestable dans Obéide ?

La pièce a été mal jouée sur votre théâtre, il faut en convenir ; et la malignité a pris ce prétexte pour accabler la pièce : c’est ce qui m’est toujours arrivé. On s’est attaché à de petits détails, à des mots, pour justifier cette malignité. J’ai ôté ce prétexte autant que je l’ai pu ; mais je ne puis vous donner des acteurs. Lekain n’est point assez jeune, et Mlle Durancy ne sait point pleurer ; vos vieillards sont à la glace. Il n’y a pas un rôle dans la pièce qui ne dût contribuer à l’harmonie du tableau. Les confidents mêmes y ont un caractère ; mais où trouver des confidents qui sachent parler avec intérêt.

Malgré cette disette, Mlle Durancy, les Lekain, les Brizard, les Molé, en jouant avec un peu plus de chaleur et de véhémence (c’est-à-dire comme nous jouons), pourraient certainement attirer beaucoup de monde, et subjuguer enfin la cabale, comme ils ont fait dans Adélaïde du Guesclin, laquelle ne vaut pas certainement les Scythes.

Le rôle d’Athamare est actuellement plus favorable à l’acteur. Il arrivait au second acte sans parler ; il faut qu’il attire sur lui toute l’attention. Ce sont de ces défauts dont je ne me suis aperçu que sur notre théâtre.

Je m’attendais que les comédiens répondraient à toutes les peines que je me suis données, et à tous les services que je leur ai rendus depuis cinquante ans. Ils devaient reprendre les représentations des Scythes ; c’est une loi dont ils ne se sont écartés que pour moi. Ils ont mieux aimé manquer à ce qu’ils me doivent, et jouer les Illinois[1] pour faire mieux tomber les Scythes. Ils savent bien que c’est à peu près le même sujet. Leur conduite est le vrai secret de dégoûter le public d’un sujet neuf qu’ils vont rendre trivial. Je ne méritais pas cette ingratitude de leur part. Ma consolation est qu’il y a plus d’éditions des Scythes que les comédiens n’en ont donné de représentations.

  1. Hirza, ou les Illinois, tragédie de Sauvigny, jouée le 27 mai 1767.