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CORRESPONDANCE.

Pour me consoler, M. de Chabanon achève aujourd’hui sa tragédie ; mais M. de La Harpe n’est pas si avancé ; il s’en faut beaucoup. Deux tragédies à la fois, sorties des cavernes du mont Jura, auraient été pour moi une chose bien douce.

Je vous assure que j’ai besoin d’être réconforté. Je ne peux plus rien faire par moi-même pour le tripot ; j’ai besoin de jeunes gens qui prennent ma place pour vous plaire.

Je me mets aux pieds de Mme d’Argental ; je me recommande aux bontés de M. de Thibouville. J’espère que les satrapes Nalrisp et Elochivis[1] ne seront pas regardés à Fontainebleau comme des satrapes de mauvais goût quand ils protégeront des Scythes. Agréez, mon divin ange, les tendres sentiments de tout ce qui habite Ferney, et surtout mon culte de dulie.

6928. — À M. DAMILAVILLE.
À Ferney, 4 juillet

Vous savez, mon cher ami, que ce fut vous qui, dans le temps du triomphe de la famille Calas et de M. Lavaysse, m’apprîtes que M. Lavaysse était beau-frère de ce malheureux La Beaumelle. Monsieur son père m’écrivit de Toulouse que, quelque temps après, mademoiselle sa fille, veuve d’un homme assez riche, avait en effet épousé La Beaumelle, malgré toutes ses représentations. Je fus affligé qu’une famille à laquelle je m’intéresse fût alliée à un homme si coupable ; mais je n’en demeurai pas moins attaché à cette famille.

Vous n’ignorez pas que j’ai reçu dans ma retraite un nombre prodigieux de lettres anonymes ; j’en ai reçu quatre-vingt-quatorze de la même écriture, et je les ai toutes brûlées. Enfin j’en ai reçu une quatre-vingt-quinzième[2] qui ne peut être écrite que par La Beaumelle, ou par son frère, ou par quelqu’un à qui ils l’auront dictée, puisque, dans cette lettre, il n’est question que de La Beaumelle même. J’ai pris le parti de l’envoyer au ministère. J’avais d’ailleurs dessein d’instruire le public littéraire de cette étrange manœuvre, et de faire connaître celui qui outrageait ma vieillesse avec tant d’acharnement, pour récompense des services rendus à la famille dans laquelle il est entré. J’ai même envoyé à M. Lavaysse le père cette déclaration que je

  1. Praslin et Choiseul ; voyez tome VI, page 263.
  2. Voyez tome XXVI, page 191.