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ANNÉE 1767

Chabanon, qui me paraît bien pénétré de reconnaissance et d’attachement pour vous. Les expressions de son cœur à votre sujet m’ont d’autant plus attendri que j’y retrouve les sentiments du mien. Vous ne sauriez croire combien il est sensible à l’intérêt que vous prenez à son ouvrage, et combien il sent le prix de vos conseils. Je le recommande à votre amitié pour lui, et à celle que vous avez pour moi. Vous pouvez être bien sûr que vous obligez en lui l’âme la plus honnête et la plus reconnaissante. Il me mande, ainsi que M. de La Harpe (dont je ne vous parle point, parce que je sais combien vous l’aimez, et combien il en est digne), que vous avez été malade, et que pendant ce temps vous avez fait une comédie[1] ; vos maladies font honte à la santé des autres. À propos, vraiment j’oublie de vous dire (car j’oublie tout) que je suis enchanté de l’Ingénu, quoique ce ne soit pas le neveu de l’abbé Bazin qui l’ait fait, comme il est évident dès la première page : on dit que c’est un petit-fils de l’abbé Gordon, qui me paraît avoir très-bien élevé cet enfant-là. Les ennemis du Père Quesnel[2], qui n’aiment pas qu’on les voie ingénument tels qu’ils sont, ont si bien fait que l’ouvrage vient d’être défendu. Il est vrai qu’il n’y en avait eu que trois mille cinq cents de vendus en quatre ou cinq jours, au moyen de quoi personne n’en aura. Ce petit-fils de l’abbé Gordon est un fin courtisan ; il a appris à ses semblables qu’avec un petit mot d’éloge on fait passer bien de la contrebande. La recette est bonne, sans doute, mais un peu difficile à avaler. Iterum vale, mon cher maître ; je vous embrasse de tout mon cœur.

7020. — À M. DAMILAVILLE.
23 septembre.

Le malade de Ferney est ben en peine du malade de Paris, et il attend avec impatience de ses nouvelles. Il soupçonne qu’on a fait une faute dans la dernière lettre, où il est question de la Comtesse de Givry. On a fait dire à Charlot dans la dernière scène :

Ô destins inouïs !


et c’est à la belle Julie de le dire. Le malade des champs recommande à la bonté du malade de la ville la Comtesse, Charlot, Julie, et l’Intendant faiseur de contes. Puisse cette pièce vous amuser autant qu’elle nous amuse, et être utile à l’enchanteur Merlin !

Que faut-il faire pour Sirven ? J’ai bien peur que cette affaire ne s’en aille en fumée.

  1. Charlot, ou la Comtesse de Givry ; voyez tome VI, page 341.
  2. C’était sous le nom du Père Quesnel que Voltaire avait donné l’Ingénu.