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CORRESPONDANCE.

Louis XIV rendit au moins un grand service à la France, en mettant de l’uniformité dans la procédure civile et criminelle. Cette uniformité était dès longtemps chez les Anglais, qui n’avaient, depuis six cents ans, qu’un poids et qu’une mesure : c’est à quoi nous n’avons jamais pu parvenir. Mais il me semble que les rédacteurs de notre procédure criminelle ont beaucoup plus songé à trouver des coupables dans les accusés qu’à trouver des innocents. En Angleterre, c’est précisément tout le contraire ; l’accusé est favorisé par la loi : l’Anglais, qu’on croit féroce, est humain dans ses lois ; et le Français, qui passe pour si doux, est en effet très-inhumain.

L’abominable aventure du chevalier de La Barre et du jeune d’Étallonde en est bien la preuve. Ils ont été traités comme la Brinvilliers et la Voisin, pour une étourderie qui méritait un an de Saint-Lazare. Celui des deux qui échappa aux bourreaux est actuellement officier chez le roi de Prusse : il a acquis beaucoup de mérite, et pourra bien un jour se venger, à la tête d’un régiment, de la barbarie qu’on a exercée envers lui. Il semble que cette aventure soit du temps des Albigeois.

Nous verrons bientôt si le conseil voudra bien revoir et réformer le procès des Sirven. Il y a cinq ans que je poursuis cette affaire. J’ai trouvé chaque jour des obstacles, et je ne me suis jamais rebuté ; mais je ne suis qu’un citoyen inutile. C’est à vous, monsieur, qu’il appartient de faire le bien : vous êtes en place, et vous êtes digne d’y être, ce qui n’est pas bien commun. Vous servirez votre patrie dans les fonctions de votre belle charge, et vous vous immortaliserez dans vos moments de loisir.

Vous ferez voir combien la jurisprudence est incertaine en France ; vous détruirez les traces qui restent encore de l’ancien esclavage où l’Église a tenu l’État. Concevez-vous rien de plus ridicule qu’un promoteur et un official ? Mais, en vérité, nous avons des juridictions encore plus étonnantes, des tribunaux pour les greniers à sel, des cours supérieures pour le vin et pour la bière, un auguste sénat pour juger si les fermiers généraux doivent fouiller dans la poche des passants, sénat qui fait presque autant de bien à la nation que les quatre-vingt mille commis qui la pillent.

Enfin, monsieur, dans les premiers corps de l’État, que de droits équivoques et que d’incertitudes ! Les pairs sont-ils admis dans le parlement, ou le parlement est-il admis dans la cour des pairs ? le parlement est-il substitué aux états généraux ? le conseil d’État est-il en droit de faire des lois sans le parlement ? le